Encore vivaces dans leur mémoire, les souvenirs des vendanges d’autrefois continuent de nourrir leurs conversations. Émilien Duché (88 ans) et Albert Gavanon (90 ans), anciens viticulteurs, évoquent ces moments de labeur et de joie autour de la vigne et du raisin.
Alain Bronnert agrémente leurs propos de quelques belles photos de sa collection.
J’ai commencé à vendanger à treize ou quatorze ans. Mon grand-père, Ernest Duché, que l’on appelait encore Mativet (surnom hérité de son père, Mathieu), exploitait avec ses trois fils, Louis (mon père), Paul et Marcel, une propriété de 75 000 pieds de vigne à la Jasse de Barry, sur la commune du Cailar, en face le pont de la voie ferrée Arles-Lunel.
Pour enlever la récolte – vingt à vingt-deux jours de boulot – mon grand-père faisait venir une « colle » de la Haute-Loire. Il était en contact avec une personne, prénommée Adèle, qui formait la « colle ». 10 coupeurs (des femmes pour la plupart) et 3 hommes pour vider les seaux et porter ; mon oncle, Marcel, faisant le quatrième homme. Celui qui vidait les seaux le matin, portait l’après-midi et vice-versa.
Les vendangeurs venaient du Puy-en-Velay en train et on allait les chercher avec la charrette et le tombereau à la gare de Vauvert. Ils logeaient au mas dans une grande chambre, couchaient sur la paille et faisaient leur patouille avec les produits et victuailles qu’ils ramenaient de la montagne.
Les vendanges commençaient presque toujours la première semaine de septembre. C’est bien simple, je suis né le 7 septembre et mon grand-père avait coutume de dire « Es arriva in dé la colla ».
On faisait des journées de huit heures. On attaquait à 7h00. On effectuait une bonne battue puis on allait déjeuner vers 8h00. Je salive encore rien que de penser à l’odeur du pâté ou de l’omelette ! Ce moment joyeux et convivial s’accompagnait d’un peu de vin frais, faiblement alcoolisé, remplacé parfois par une fort agréable piquette. On reprenait le travail jusqu’à midi. On s’arrêtait deux heures pour le repas et l’après-midi, on s’activait pendant quatre heures.
Le travail était pénible. En fin de journée, les coupeurs avaient mal aux reins. Le matin quand on ouvrait les feuilles, on était accueilli par une « sympathique » armada de moustiques et l’après-midi on devait supporter une chaleur pesante. La bonbonne d’eau fraiche entourée d’un linge mouillé était alors la bienvenue. Mais tout cela se déroulait dans la bonne humeur, entre rires et chansons.
Les raisins coupés à la serpette étaient amenés du rang à la charrette par les porteurs à l’aide de cornues hissées sur leurs épaules ou sur leur tête. Le tombereau une fois plein était tracté par des chevaux dont je garde encore en mémoire les noms, Bijou, Tambour, Tobby, puis plus tard Coquet, un cheval entier, doté d’une force herculéenne.
Mon père s’occupait des chevaux et du charroi, puis j’ai pris la relève. Mon oncle Paul s’occupait du vin et mon oncle Marcel était dans la vigne avec la « colle ».
Nous faisions le vin nous-mêmes dans la cave derrière le mas.
Quand la cave de Vauvert a été créée en 1939, mon grand-père, Ernest, a pris 400 parts. Puis lorsqu’il a transmis la propriété à ses enfants, après tirage au sort, mes deux oncles se sont partagé le mas et mon père a hérité de « l’Odéon », nom d’un immeuble abritant le premier cinéma de Vauvert (rue du Moulin d’Etienne) qui avait pris feu en 1930, ainsi que des 400 parts de la cave coopérative pour apporter sa propre récolte.
Après la guerre, avec mon père, nous avons donc monté des « colles » de 5 coupeurs et 2 porteurs avec des personnes de Vauvert : Carmen Tejedo, Jeanine Jonquet, Lucette et Mado Vignon, mon cousin Jean Rodde, sont venus couper les raisins quelques années. Robert Verdier et moi-même faisions les porteurs.
J’ai toujours aimé les vendanges, un travail pénible effectué dans la bonne humeur et la camaraderie. C’était une époque… et je suis heureux de l’avoir vécue.
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Albert Gavanon ne peut préciser à quel âge il a commencé à vendanger. Il a passé son enfance sur les cuves du mas Rey à Gallician et a toujours baigné dans le monde viticole.
Nous avions deux exploitations, une, au mas Rey, en bordure de la route de Saint-Gilles, et l’autre, à Vauvert. Moi, j’étais plutôt au mas où j’ai commencé très jeune en me rendant utile. Mes premières vendanges, je les passais à trier les feuilles sur le tombereau, à nettoyer les outils, les seaux et les cornues. J’aimais déjà cette ambiance de travail mais aussi de fête. Il ne faut pas oublier que c’est le moment où le viticulteur récolte les fruits de son labeur.
Avant la guerre et pendant dix à douze ans, nous avions une « colle » qui venait des Cévennes, entre Lasalle et Saint-Hippolyte du Fort. Les vendangeurs formaient deux équipes car nous enlevions deux récoltes, celle de mon père et celle de mon oncle Boudon (son beau-frère). Ce qui représentait une vingtaine d’hectares.
Nos vendangeurs cévenols appartenaient à une seule et même famille, les Fayet. La mère avait eu quinze enfants. Ils exploitaient une petite ferme, « Lou Sarraïe » et quelques hectares de châtaigniers. C’étaient vraiment des travailleurs. Ils commençaient la nuit ; ils finissaient la nuit. Il faut dire qu’ils étaient à forfait. Moins ils faisaient de jours, plus ils gagnaient et comme ils avaient du travail chez eux, ils se dépêchaient. Le prix était établi à l’avance par rapport au nombre de pieds de vigne. Chaque année, ils venaient à deux, quelques jours avant, pour évaluer la quantité de raisins sur les souches et avec mon père et mon oncle, ils s’accordaient sur le prix.
Les vendangeurs étaient logés au mas. Pour la nourriture, ils apportaient tout des Cévennes, jambon, œufs, pommes-de-terre… Avant les vendanges, mon père et mon oncle louaient un car au père Duguet et allaient les chercher à Lasalle.
En 1939, dernière année où ils sont venus, j’avais quinze ans, je suis allé les réceptionner à la gare de Calvisson avec un cheval et une charrette.
Après le partage de la propriété avec mon frère, j’ai constitué ma « colle » au fil des ans avec les frères Sommacal et leurs sœurs, Francine et Alice, Charles Bisson, Matelot (René Lombardi), sa femme et ses deux fils, Léon Monbellet, Abraham Karsenti, les fils d’André Berc, Yolande Pierre, Gérard Quérrel, Rémi Boileau,.. et je dois en oublier. Le dimanche, nous ramassions les vignes de Matelot et du père Monbellet et Soledad Lombardi nous confectionnait un fricot d’escargots pour le repas de midi. Nous travaillions dans une bonne ambiance et dans un cadre familial.
Le tracteur avait peu à peu remplacé les chevaux, je continuais de déposer la récolte dans ma cave, rue Diderot, où je faisais mon vin. Nous avons toujours fait le vin en cave particulière que ce soit au mas ou à Vauvert chez mon grand père maternel, Soulet.
A la création de la cave coopérative, mon père avait pris 100 parts pour aider à la fondation. J’ai été un des derniers à les utiliser, en 1975. J’arrivais presque au terme de mon activité de viticulteur. Mais, j’ai toujours gardé cette passion du vin. Et, je vais vous faire une petite confidence, au moment des vendanges, je continue de fabriquer un peu de vin maison.
Photos © Collection Alain Bronnert
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