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Fanfonne sur Pescalune en 1983 - Photo © Robert Faure
Fanfonne sur Pescalune en 1983 dans les prés du Cailar – Photo © Robert Faure

C’était au temps où les abrivado n’étaient pas seulement un divertissement populaire mais plutôt le seul moyen de déplacer les taureaux des près vers les arènes où se déroulaient les courses.
Passionnée de cheval depuis son plus jeune âge, Fanfonne commence à accompagner les bioù au début des années 1910. Le virus ne la quittera plus. De la création de la manade « Azur et Or » en 1920, à la reconnaissance du cheval Camargue en tant que race pure par les Haras nationaux en 1968, Fanfonne Guillierme a voué sa vie à la bouvine, au patrimoine et aux traditions de la Camargue.

C’est cette histoire hors normes, celle d’une jeune fille issue d’une famille bourgeoise parisienne, devenue Grande Dame de Camargue, que Robert Faure, auteur du livre En Camargue avec Fanfonne Guillierme et son ami Michel Falguières, écrivain cailaren, nous ont contée le 27 novembre dernier à Gallargues-le-Montueux.

Michel Falguières et Robert Faure (avec le micro)
Michel Falguières et Robert Faure

Robert Faure – On me demande souvent si je suis apparenté à Fanfonne Guillierme. Non, je ne suis pas apparenté à Fanfonne Guillierme mais j’ai des liens d’amitié qui remontent à ma plus tendre enfance et, les liens d’amitié sont quelquefois plus forts que les liens de parenté.

Michel Falguières – Alors, parlons de Mademoiselle « Fanfonne » Guillierme, qu’on dit « Fonfonne ». Moi, à l’état-civil, je ne connais qu’Antoinette Guillierme, la quatrième enfant de la famille Guillierme. Comment ce fait-t-il qu’elle se prénomme Fanfonne, aujourd’hui ?

Robert Faure – Effectivement, Antoinette Guillierme a bien existé. A l’état-civil, son prénom c’est bien Antoinette. Mais, passé le cap de la petite enfance, sa préceptrice suisse-allemande, Tita, lui donna un nouveau prénom. Déjà, dès l’âge de 4 – 5 ans, Fanfonne commençait à être un peu dissipée – comme elle me disait : « J’étais un peu un garçon manqué » – alors Tita, dans son jargon, dans son patois, se mit à l’appeler Fanfan. Fanfan, Fanfon, et c’est devenu Fanfonne. C’est tout simplement sa préceptrice qui l’a surnommée ainsi.

Michel Falguières – Les anciens disent tantôt Fonfonne, tantôt Fanfonne.

Robert Faure – J’ai des cartes postales de 1910 où elle signait Fonfonne. Et plus tard, jugeant que ça ne lui plaisait pas, elle a signé Fanfonne. Moi, je dis Fonfonne.

Ferrade aux Cabanes du Vaccarès en 1966 (Collection Robert Faure)
Ferrade aux Cabanes du Vaccarès en 1966 (Collection Robert Faure)

Résumé de la biographie de
Melle Fanfonne GUILLIERME
par Robert Faure

C’est à Praviel, au mas familial que la jeune fille entre en relation directe avec la passion du taureau. Cette ‘fe di boù’ sera l’axe directeur de toute son existence.

Née à Paris le 31 octobre 1895 dans une famille de grands magistrats et de scientifiques, elle prend contact dès l’enfance avec le cheval. En compagnie de sa sœur Hortense les premières promenades s’effectuent au bois de Boulogne où la jeune Fanfonne commence son apprentissage hippique en monte amazone. Leurs parents Frédéric et Alice Guillierme, excellents cavaliers eux-mêmes, suivent l’évolution équestre de leurs filles avec satisfaction car l’une et l’autre montrent déjà beaucoup de maîtrise et de sang froid. Au début du XXème siècle la famille de Frédéric et d’Alice Guillierme est composée de six enfants : Elisabeth née en 1890, Hortense en 1892, Pierre en 1894, Antoinette en 1895, Madeleine en 1898 et Charles en 1902.

Le mas Praviel à Aimargues en 1890 (Col. Robert Faure)
Le mas Praviel à Aimargues en 1890
(Col. Robert Faure)

Le belvédère de Praviel en 1973 Photo © Robert Faure
Le belvédère de Praviel en 1973
Photo © Robert Faure

C’est au cours de l’année 1904 que le destin va favoriser les rapports entre les enfants Guillierme, le cheval et le taureau. La famille vient vivre définitivement dans sa propriété du sud de la France. La future manadière voit passer sous les fenêtres de sa chambre les abrivades et les bandides en route pour Marsillargues ou les prés du Cailar. Pour mieux imprégner les enfants du magnifique tableau qui se déroule sous leurs yeux, on demande aux  gardians de faire une halte dans la cour du mas.  On leur offre même de la ‘cartagène’, sorte de muscat de mou de raisin. Alice aime ce mas entouré de vignes où se découpent à l’horizon les clochers et les toits d’Aimargues au Nord, Marsillargues à l’Ouest, Saint Laurent-d’Aigouze au Sud et Le Cailar à l’Est. Consciente de l’univers précieux qui a bercé la majeure partie de son enfance heureuse, elle saura inculquer à ses enfants les valeurs de la vie et surtout leur laisse le choix de mener à bien leur plaisir et leur passion.

Pour Antoinette dont le surnom de Fanfonne lui a été attribué par sa gouvernante d’origine suisse allemande, la passion c’est le cheval. Pour elle qui aimait à rappeler qu’elle avait commencé l’équitation avant sa naissance puisque sa mère montait sa jument Judith pendant les quatre premiers mois de sa grossesse, on achète un poney corse nommé Mignonette. La fillette intrépide n’a de cesse de grimper sur son dos pour lui faire sauter les mangeoires des brebis sans bride, avec une simple corde attachée au museau et lui servant de guides. Fanfonne produit sur les animaux qu’elle aime tant, une sorte de fascination, même la jument insoumise ne lui résiste pas. Quand il faut attraper Judith fuyant à toute approche, on lui demande d’y aller et c’est elle qui la ramène dans la cour pour l’attelage. C’est avec  elle, menée par le cocher Joseph Jourdan, le brave Teff, qu’elle part à Lunel assister à ses premières courses à la cocarde. Des courses, elle en voit beaucoup, déjà la passion bourgeonne. Ainsi donc en 1906, quand Alice achète une ‘doublenque’ destinée à une mise à mort dans les arènes d’Aimargues, les enfants de Praviel reçoivent cette attention de leur mère comme un immense cadeau. On l’appellera Bichette comme le nom de son gardian.

Bichette devient vite la coqueluche de toute la famille. Parfois même Pierre et Fanfonne en font un peu trop avec elle. A leur initiative on décide un jour de remplacer l’âne du jardinier par la vache à demi domestiquée par ses hôtes. Afin de mener le subterfuge à bien, on ne trouve pas mieux que de mener l’âne dans le grand salon tandis que Bichette prend sa place dans l’écurie. Ce soir là, le jardinier faillit mourir d’une crise cardiaque, lui qui avait une peur bleue des taureaux ! L’âne dans le salon ne fit pas que des merveilles et Alice sentit l’obligation de fixer des limites pour ce genre de plaisanterie. Mais nous l’aimons beaucoup notre Bichette réplique Fanfonne pour toute défense. A cette époque, en 1904, le marquis de Baroncelli, avec l’aide des familles comme les Grand, Ménard, Dorian, Hugo, et de Joseph d’Arbaud, d’Alice Guillierme et d’autres, fonde les bases du ‘Coumitat Virginen’.

Peu d’années après ce regroupement des gens sensibles aux traditions de bouvine, en septembre 1907, survient une catastrophe climatique dont les conséquences vont conduire une partie de la manade Papaline à séjourner l’hiver dans la cour de Praviel à l’invitation d’Alice. Fanfonne n’a que 12 ans lorsque les cocardiers et une partie des vaches du Marquis restent durant les longs mois d’hiver à l’abri des intempéries de Camargue. En prise directe avec les Biòu, les enfants du mas vont se passionner de plus en plus. Leur Bichette sera d’ailleurs intégrée aux congénères de la manade de Baroncelli et formera, avec sa descendance,  l’embryon du la future manade Grand-Guillierme.

L’âge est venu de pouvoir s’aventurer seule vers le mas de l’Amarée ou le mas du Sauvage. L’été la manade du Marquis de Baroncelli gagne les pâturages de Camargue près des Saintes Maries de la mer. Au travers des propriétés non clôturées en ce temps là Fanfonne chevauche pendant la nuit de Praviel jusque chez le Marquis afin d’être présente pour le triage du matin au petit jour.

L’amitié entre les familles Guillierme et Baroncelli se manifeste chaque année par de longs séjours de la marquise et de ses enfants à Praviel. Fanfonne et Nerte se considèrent comme deux sœurs. Leurs parents les surnomment d’ailleurs les jumelles, elles n’ont que 13 jours de différence.

Fanfonne aux Saintes-Maries de la mer en 1910 (Col. Robert Faure)
Fanfonne aux Saintes-Maries de la mer en 1910
(Col. Robert Faure)

Fanfonne entre Mathieu Raynaud et Folco de Baroncelli  20 avril 1912
Fanfonne entre Mathieu Raynaud et Folco de Baroncelli
20 avril 1912

Dès son adolescence, Antoinette Guillierme devenue Fanfonne connaît  la vie rude et passionnante des gardians sous la houlette de Jean Bérard et du Marquis. Mathieu Raynaud, un autre grand personnage de bouvine s’attache profondément à cette jeune intrépide et lui voue une réelle admiration. A son contact elle va parfaire son apprentissage du métier car Mathieu Raynaud en excellent professeur et ami, lui montre son savoir faire tout en lui expliquant les erreurs d’appréciation à ne pas commettre.

Beaucoup de gens se sont posé des questions sur l’état sentimental de la Demoiselle de Praviel. Pourquoi ne s’est-elle jamais mariée ?

Après analyse et connaissance des faits, la raison en est très naturelle et fort louable. C’est à l’âge de 16 ans en 1911, que la jeune fille se fiance avec un beau et sympathique jeune homme dont la famille est amie des Larnac et des Guillierme. Son nom n’est pas évocateur du Midi mais plutôt des brumes du nord, du côté de Sedan : Jean Hecht. De plus, il est l’arrière petit-fils du baron Haussmann par sa mère. Les deux tourtereaux affichent un amour mutuel très marqué. Dès que les études du prétendant seront terminées, ils se marieront. Rien ne presse. Pour l’instant Fanfonne assouvit son incroyable énergie et son immense passion pour les chevaux et les taureaux tout en affinant ses études.

Profondément attachée à cette terre et à ses traditions la jeune Fanfonne participe aux diverses manifestations de la Nacioun Gardiano. En septembre 1913, pour le cinquantenaire de la Mireille de Gounod à Saint-Rémy de Provence elle fait la connaissance de Frédéric Mistral. Cette rencontre lui laissera un souvenir indélébile et les années futures de son existence seront marquées par l’esprit du grand poète provençal. Après trois jours de fêtes somptueuses à Saint Rémy, sur le chemin du retour, Fanfonne et les cavaliers de la Nacioun Gardiano s’arrêtent à Maillane sur l’invitation du poète. Le maître des lieux leur ouvre sa maison pour un banquet mémorable. La gentillesse, le sourire et la témérité de cette jeune fille provoquent déjà parmi les gens de bouvine, une réelle admiration.

Mlle Fanfonne aux bras de son fiancé, Jean Hecht, et de son futur beau-père, Charles Hecht
Mlle Fanfonne aux bras de son fiancé, Jean Hecht, et de son futur beau-père, Charles Hecht
(Col. Robert Faure)

Arrive le 2 août 1914 et sa cohorte de soldats qui partent combattre  (la fleur au fusil) contre l’envahisseur germanique. Jean Hecht incorporé dans les dragons, est envoyé au front sur la Marne d’où il revient fortement mutilé peu de temps après. Afin de ne pas devenir un handicap moral et physique pour sa promise, il décide de rompre sa promesse et lui rend sa parole donnée. Le cœur de Fanfonne en restera meurtri jusqu’à son dernier battement. Tout au long de sa vie, ses taureaux seront ses enfants comme elle se plaisait à dire.

Mlle Fanfonne arme le fusil - 2 janvier 1916 (Col. Robert Faure)
Mlle Fanfonne arme le fusil – 2 janvier 1916
(Col. Robert Faure)

D’Arbaud est un habitué de Praviel. Il a pour ses amies Madeleine et Fanfonne une amitié sincère. D’ailleurs lorsqu’il rechute de sa maladie après la guerre de 14-18, il décide de séjourner au mas où Elisabeth, l’infirmière de la famille, lui prodigue les soins nécessaires à sa guérison. Ce grand poète provençal,  personnage si attachant, aime tellement ce mas et ses hôtes que lorsqu’il doit s’absenter pour une longue période il laisse toujours dans sa chambre un objet précieux ou intime. Ainsi dit-il, je suis sûr de revenir un jour afin de le récupérer et de retrouver grâce à lui cette merveilleuse maison. Lorsque l’écrivain est présent, il travaille dans la bibliothèque. Il s’y sent comme chez lui entouré d’attention et d’amitié. C’est d’ailleurs dans la bibliothèque qu’il écrit et corrige les épreuves de la « Bèstio dòu Vacarés » de 1921 à 1924.

La manade Grand-Guillierme est crée en 1920. L’hiver les bêtes migrent au Sauvage. On a embauché un baile gardian du nom de Marius Favier. Dès 1922, celui-ci décide de partir car visiblement l’homme n’est pas fait pour le métier. Le but premier du nouvel élevage n’est pas de produire de grands cocardiers mais plutôt d’assurer de nombreuses abrivades. C’est ce à quoi s’emploie le nouveau baile gardian René Chabaud, fils d’Auguste Chabaud,  responsable de la manade Louis Robert. Malgré tout quelques bons éléments courent en cocarde et laissent leur nom sur les registres de l’histoire de la bouvine : Bouchard, Rampau, Cyrano, Mystérieux et aussi l’Aigues-Morten qui se paie même le luxe de blesser le raseteur Julien Rey à Cabannes.

Le baile gardian René Chabaud en 1930
Le baile gardian René Chabaud en 1930
(Col. Robert Faure)

Aux Bruns en 1945, Fanfonne et Gaston Lousthau (Col. Robert Faure)
Aux Bruns en 1945, Fanfonne et Gaston Lousthau
(Col. Robert Faure)

L’œuvre de Fanfonne se poursuit sur le même axe de pensée qui devient au fil des années une véritable philosophie inébranlable, tenace, vouée tout entière à la défense et à l’amour du pays. Aussi participe-t-elle avec force à la levée des tridents à Nîmes le 17 Novembre 1921, puis en Arles un an après, le 12 Novembre 1922.

Dès cette époque la jeune demoiselle est une figure respectée et admirée. Le poète languedocien Paul Vézian lui dédie un beau poème en Provençal : La Reino di Gardian.

La manade se porte bien. Le baile René Chabaud s’est entouré de gardians amateurs compétents qu’il a formé lui-même. André Bouix, Maurice Vedel, Gaston Lousthau et Roger Nissard, guidés par René et la patronne, forment une troupe rodée à toutes les épreuves. Pour un temps vient se joindre à eux un jeune gardianou qui  deviendra par la suite bayle chez Monsieur Nou de la Houpelière, René Jalabert. Durant l’été, les courses et les longues chevauchées interminables sont le lot quotidien. Il y a aussi les transhumances bi-annuelles des Bruns aux près du Cailar.

En 1933, Pierre se marie et participe de moins en moins aux affaires de l’élevage. Cette même année Fanfonne et Madeleine assistent avec leurs nièces Mireille et Mathilde Seignobosc au mariage de leur amie Frédérique, la dernière fille du Marquis, avec le futur manadier Henri Aubanel. Hortense remplace Pierre à la gestion des propriétés de Marsillargues et d’Aimargues.

Charles se marie en 1935. Désormais Fanfonne se retrouve seule avec René Chabaud aux affaires de la manade.

On décide alors de chercher un gardianou, un jeune garçon qui voudra bien apprendre le métier rude mais combien noble du gardian.

Jacques Espelly entre à la manade Grand-Guillierme le 8 juillet 1938. Il est né aux Saintes Maries de la mer en novembre 1921, il n’a que 16 ans.

« A cette époque nous n’avions pas besoin de cocardiers. Nous ne faisions pratiquement que des abrivades. Les bêtes dont on avait besoin, c’était des taureaux pas trop méchants, très dynamiques et très résistants. Tu pouvais avec eux parcourir vingt kilomètres sans problèmes. René Chabaud avait fait des bêtes pour ça ! Pour les abrivades. »

Dès 1944, Armand Espelly, gardianou chez Marius Tardieu, vient aider René Chabaud lorsque Jacques, son frère est absent, réquisitionné pour un temps par le STO (Service du Travail Obligatoire). Il est définitivement attaché à la manade Grand-Guillierme en 1945.

Fanfonne peut compter sur de solides gardians. L’éducation de René Chabaud sera le reflet de sa compétence, c’est-à-dire remarquable. La manadière est étroitement mêlée à l’activité de ses taureaux et de ses hommes. Que l’on trie, que l’on marque ou que l’on change de pâturages, la grande silhouette noire est présente ! Fidèle au poste ! Ses gardians et son métier tiennent une place prépondérante dans son cœur. S’il règne une belle harmonie entre les élèves et leur baile, le même état d’esprit s’applique aux gardians et leur « Pélote ». La prodigalité de son affection et de sa bonne volonté ne fait jamais défaut.

René Chabaud se retire en 1950. Jacques et Armand le remplacent désormais aux destinés de l’élevage.

La même année le troupeau s’étoffe d’une trentaine de vaches achetées à Bernard de Montaut, puis quinze autres à Raynaud en 1953. Les besoins du public ont sensiblement changé. L’avenir se tourne vers une couse camarguaise plus spectaculaire. Fanfonne comprend la situation et n’hésite pas à soutenir son baile dans cette voie. Les espérances d’un travail sérieux apportent en peu d’années les signes de réelle satisfaction.

1956, « Pin Pan » se révèle au monde afeciounado. Taureau de petite taille, très fougueux, il enflamme les spectateurs par ses sensationnels coups de barrière. Une série d’excellentes vaches cocardières confirme aussi, pendant plusieurs années, la bonne direction de la manade. Les noms de « Guirlande », « Tortue » et surtout « Mimosa » s’inscrivent en lettres d’or au palmarès des cocardières les plus prestigieuses. C’est aussi l’année où les noms de Grand et de Guillierme se séparent

L’élevage prend son autonomie et court désormais sous le nom de Fanfonne Guillierme.

Fanfonne avec Jacques et Armand Espelly (Photo © Robert Faure)
Fanfonne avec Jacques et Armand Espelly
(Photo © Robert Faure)

Fanfonne reste fidèle aux chevauchées solitaires par les drailles de Camargue où, à n’importe qu’elle heure du jour où de la nuit, Prince l’emportait sous la voûte céleste des étoiles. Plusieurs fois par semaines, au petit jour, on peut rencontrer la manadière sur la route du Clamadou, inusable au rendez-vous de sa passion. Là-bas, dans ce désert semi aquatique, ses taureaux, ses « enfants », comme elle se plaît à les nommer, l’appellent. Leur voix déchirante qu’elle a su écouter tout au long de sa vie, ne s’apaisera plus au fond de sa grande âme. A cheval rien ne l’arrête. Le mistral ciseleur des vastes plaines, la pluie battante des mauvais jours n’ont plus de prise sur sa peau de femme libre.

Le 23 mai 1959 Alice Guillierme meurt à l’âge de 91 ans. An dépit de sa profonde tristesse, Fanfonne retrouve en sa manade, le soulagement de l’esprit.

Comme l’avait écrit auparavant le gallarguois Paul Vézian dans son poème intitulé « La reino di gardian », qui consacrait la grande Dame de Camargue comme un personnage unique, le chroniqueur Pierre Vignon disait ceci à propos de Melle Fanfonne en 1960 :

« Une très grande manadière. La familiarité avec laquelle le monde afeciounado appelle la manadière Melle Fanfonne, étant peut-être la plus belle traduction des sentiments de vive sympathie, d’admiration et, chez les plus purs, de vénération, à notre tour nous nous permettrons d’employer le prénom populaire. Fanfonne est le type même de la femme attachée à la bouvine. Fanfonne s’honore de cinquante années d’abrivades où toujours elle excella et excelle encore malgré son âge. Elle a vécu et participé  à ces abrivades héroïques où seuls quelques cavaliers encadraient les bêtes. »

Les années 1964 et 1965 ponctuent avec « Villaret », « Gus » et  « Vincent » l’histoire de la marque par une nouvelle victoire au Trident d’Or à Quissac.

Le cocardier « Galapian » est élu Bioù d’Or en 1968. Malgré son humilité, La Grande Dame n’a jamais repoussé les témoignages d’admiration. Son plus cher désir ? Les partager avec sa manade. La consécration de « Galapian » réalise ce souhait. L’élevage est projeté au rang des grands crus.

Fanfonne au Cailar en 1973 (Photo © Robert Faure)
Fanfonne au Cailar en 1973
(Photo © Robert Faure)

En cette fin des années 1960, les longues chevauchées ne se comptent plus que sur les doigts de la main. Ce n’est plus le temps où Prince était sellé dès la pointe du jour sans interruption jusqu’à la nuit tombante. Le temps n’avait plus d’espace et il arrivait à Fanfonne de chevaucher plus de vingt-quatre heures sans mettre le pied à terre. Si la forme a changé, la passion demeure intacte. Levée aux premières lueurs de l’aube, elle gagne, en voiture avec Armand, les plaines de la Crau où est implanté le mas de Lansac lieu d’hivernage de la manade aux couleurs Azur et Or, depuis plusieurs années. Cet été de 1969, la victoire est encore au rendez-vous avec « Pinard », « Eros » et « Tamarisse » qui décrochent le troisième Trident d’Or.

1972 conforte la manadière d’Aimargues dans son image légendaire. Ses biòu foulent les grandes pistes. Sa royale affiche des noms prestigieux qui forment l’un des groupes de cocardiers les plus homogènes du moment :

« Saint Omer »-« Ourrias »-« Tamarisso »-« Tegel »- « Vivar »-« Estépous »

La renommée de Mademoiselle Fanfonne a dépassé le cadre national et son abondant courrier lui vaut parfois des lettres d’outre-Atlantique. Au mas, elle reçoit en toute simplicité, la visite d’une journaliste venue spécialement des Etats-Unis pour la connaître et lui parler. Un reportage à la télévision américaine sur ce personnage hors du commun, l’a rendu admiratrice inconditionnelle. Un jour une lettre datée de Belgique lui parvient à l’adresse suivante : « Mademoiselle Fanfonne au bon soin des Saintes-Maries de la Mer. France. »

Mlle Fanfonne et Tamarisse en 1974 Photo © Robert Faure
Fanfonne et Tamarisse en 1974
Photo © Robert Faure

Fanfonne et Tamarisse à Signoret en 1974 Photo © Robert Faure
Fanfonne et Tamarisse à Signoret en 1974
Photo © Robert Faure

1975 est l’année de son 80ème anniversaire. Fanfonne présente une royale très étoffée qui court le 31 mars à Mouriès. Elle est composée de « Fangous »  « Estepous »  « Tamarisso »  « Escogriffe »  « Tegel »  et  « Desgressaire ».

Le 5 octobre, c’est l’heure de vérité. « Tegel » remporte le premier diplôme d’or de l’Afecioun en Arles, « Vidourle » est désigné Taureau de l’Avenir à Beaucaire.

En cette fin des années 1970 le nouveau porte-drapeau de la devise semble s’affirmer avec le nom de « Segren ». Ses premières prestations ont été remarquées et très appréciées des afeciounado. Son beau port de tête, couronné des longues cornes effilées, parfaitement symétriques, lui donne un aspect royal.

Le 6 juillet 1981, dans l’amphithéâtre d’Arles, Segren remporte la 50ème Cocarde d’Or. Le public enthousiaste scande le nom de la manadière. Lors de la remise des prix, Jacques, ému, vient cueillir la récompense qu’il s’empresse d’apporter à sa pélote restée sur les gradins. L’émotion paralyse un instant le public. La gerbe multicolore d’une main, les bras levés, debout, la Grande Dame salue. L’explosion des applaudissements redouble. Le commencement de la consécration venait d’avoir lieu.

Le 4 octobre, son cocardier Lou Maï est proclamé Taureau de l’Avenir à Beaucaire.

Melle Fanfonne est aussi une femme qui aime les gens et en particulier sa famille. Aussi, lorsqu’elle n’est pas à cheval ou à l’écoute de ses bêtes, elle profite de certaines journées d’hiver pour rester auprès de ses sœurs ou bien écrire, répondre à un abondant courrier, mais aussi lire des revues qui l’intéressent dans la bibliothèque de Praviel. C’est sa pièce préférée du mas, elle y vit, elle y pense, elle y est heureuse.

Peu de personnes de leur vivant, assistent au développement spontané de manifestations populaires chargées de foi traditionnelle et d’admiration profonde attachée à leur mythe. Ce qui reste remarquable est de voir cette personne menée par la passion jusqu’au bout. Armand et Jacques l’informent sur tout : matériel à réparer, situation des bêtes, ventes effectuées. Ce n’est pas une exigence, les choses se déroulent simplement ainsi. Fanfonne a, depuis plus de 60 ans, l’aveugle confiance des grands éleveurs pour qui le gardian de métier est un homme de haute estime.

Armand Espelly au mazet du Cailar en 1982 Photo © Robert FAure
Armand Espelly au mazet du Cailar en 1982
Photo © Robert FAure

Armand, Jacques et Fanfonne au Cailar en 1983 Photo © Robert Faure
Armand, Jacques et Fanfonne au Cailar en 1983
Photo © Robert Faure

Fanfonne, dès le 6 mars 1983, est au mazet du Cailar. « Auroch » et « Calabrun » doivent courir à Vallabrègues. Le 13, c’est « Aubun », « Plante Sauze », « Caput » et « Agibe » qui vont courir à Saint-Gilles. Rares sont les fins de semaine sans course. La royale est programmée, avec « Segren », le 1er mai aux arènes du Grau du roi. 1983 va être pour la Grande Dame de Camargue une année lumineuse. Ce sera en quelque sorte la consécration de son entrée dans l’univers mystérieux de la légende.

Parigot sur Jacky à Lunel en 1973 Photo © Robert Faure
Parigot sur Jacky à Lunel en 1973
Photo © Robert Faure

Segren 1984 Photo © Robert Faure
Segren 1984
Photo © Robert Faure

Segren sur Chomel à Arles en 1983 (Col. Robert Faure)
Segren sur Chomel à Arles en 1983
(Col. Robert Faure)

Tégel su César à Pérols en 1973 Photo © Robert Faure
Tégel su César à Pérols en 1973
Photo © Robert Faure

Le 9 octobre « Segren » obtient le titre tant convoité de Biòu d’Or aux arènes d’Arles. A l’issue de la course, lorsque Fanfonne apparaît  en piste aux bras de ses deux gardians, la foule debout manifeste un plébiscite inoubliable qui fut marqué de larmes d’émotions.

« Segren » pulvérise tous les records. Il réussit ce véritable tour de force qu’aucun grand cocardier n’a encore égalé : gagner dans la même saison les trois grands trophées des compétitions camarguaises, le 16 octobre, on lui décerne le « Diplôme d’Or de l’Aficion ».

Le 5 mai, tristesse générale ! « Segren » meurt sur les pâturages du Cailar  éventré par « Pinceau », un des étalons de la manade.

« Jamais je n’ai pleuré pour un animal. Là, je n’ai pas pu me retenir » Avoue-t-elle.

Des  villes et des villages apposent le nom de Fanfonne Guillierme aux frontons d’écoles, de rues, de places et de maisons pour tous car l’authenticité du personnage n’a échappé à quiconque. Depuis son départ vers l’éternité le 22 janvier 1989, de nombreuses manifestations à sa mémoire ont été perpétrées au sein du monde méridional, son monde à elle, ce monde qu’elle chérissait tant. A Beaucaire un club taurin l’a même pris pour emblème et chaque année à Aimargues, le dimanche suivant le congrès de la Fédération Française de la course camarguaise, une journée entière lui est consacrée. Son image est présente à jamais.

Statue de Fanfonne Guillierme sur son cheval Prince, accompagnée des bioù d'Or : Segren et Galapian
Aimargues – Statue de Fanfonne Guillierme sur son cheval Prince, accompagnée des bioù d’Or : Segren et Galapian

Mas de Praviel - 2015
Mas de Praviel – 2015

Au lever du jour, à la saison humide d’automne, une brume légère enveloppe comme un voile de mystère les prés au bord du Vistre. Au loin, du côté des clôtures ouatées où des silhouettes grises, cornes en lyre, avancent en groupes serrés, l’estompe fugitive d’une Grande Dame à cheval se glisse entre les bêtes. L’étendue herbeuse est calme, seul le cri d’une pie effrayée vient troubler le silence. La blancheur du ciel répand sa douce lumière sur ce sanctuaire de la Fe di Biòu où le mélange de la réalité et du rêve s’opère dans l’émotion du cœur.

Éternelle dans les rouages du temps, comme une ombre sacrée, tu veilles, Ô Fanfonne, à la continuité de la race.

Robert Faure

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Guy Roca

Avec quelques amis intéressés par l'écriture, la photo, la vidéo, les nouvelles technologies de la communication, nous avons créé Vauvert Plus en novembre 2010. Avec la même passion, la même ardeur, la même ambition, je participe aujourd’hui à la belle aventure de VOIR PLUS, le journal numérique de la vie locale et des associations, de l’actualité culturelle et sportive en Petite Camargue.
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