You are currently viewing La passion et le style ont fait Roger Pascal

8 novembre 1953, le jeune Roger Pascal vient de toper avec son ami raseteur Jean Cabanis ; il s’engage avec lui pour la grande course de clôture de la saison taurine qui doit se dérouler à Nîmes. La finale du Trophée du Provençal et de la Cocarde Paul Ricard. Petit problème, il n’a pas encore de tenue blanche. Depuis un an, il a commencé à se faire remarquer dans le milieu de la bouvine lors des fêtes de village, dans les plans de charrettes, comme au Jeu de Ballon à Vauvert. Pour ces courses, on revêtait juste un pantalon de couleur, le bleu le plus souvent. Qu’à cela ne tienne, avec Jean Cabanis, ils ont le même âge et pratiquement la même corpulence. Ce dernier lui prête pantalon et chemise de couleur blanche.

« Finale du Trophée ou pas, c’était une course libre comme les autres. Il suffisait d’être habillé en blanc pour y participer. À l’époque, le tourneur comme les autres raseteurs avait le droit de lever les attributs. C’était libre. C’était la course libre. »

Ce jour-là, Roger Pascal se lance dans le grand bain et foule le sable d’une grande arène pour la première fois. Il est partant pour faire le tourneur de son ami Jean Cabanis et marcher au fade (partager les gains) avec lui.

Même pas impressionné par le cadre et l’enjeu de la course. L’amphithéâtre nîmois abondamment garni, quarante raseteurs en piste, toutes les vedettes du moment, Fidani, Falomir, Moran, Tantan, Martin, les frères Doulaud…  et côté taureaux, les meilleurs cocardiers : Sangar de Laurent, Cigalié de Rébuffat, Gandar de Blatière, Cosaque de Lafont, Evêque de Raynaud et Lopez de Thibaud.

C’est cette course qui va révéler le jeune gaucher. S’il se distingue par le style et la qualité de ses rasets, il sait se montrer tout autant adroit et efficace.  La cocarde (5 000 F) et la 2ème ficelle (20 000 F) de Cigalié finissent au bout de son crochet, il coupe et enlève la cocarde (7 000 F) de Lopez ainsi que les deux glands (2 000 F et 20 000 F).

« À l’époque, ça faisait des sous. Un ouvrier gagnait 7 000 francs par semaine. Et moi, ce jour-là, j’en gagnais 54 000 en levant mes premiers rubans ! »

Cette course lui apporte une soudaine notoriété, dans la foulée, il remporte le Gland d’or à Saint-Gilles et dès 1954 il est engagé au Trophée des As. Il y évoluera jusqu’en 1972 !

Avant d’évoquer la carrière de Roger Pascal, revenons un peu sur sa jeunesse et sur le début de cette passion pour le taureau et la course camarguaise.

Une enfance à Gallician

Roger Pascal est né le 30 octobre 1932 à Nîmes. Il a passé son enfance à Gallician. Son père, Joseph Pascal, était régisseur au Mas de Teissier à La Laune, la propriété de Monsieur Boissy d’Anglas.

Je suis arrivé à Gallician en 1939, lorsque mes parents ont déménagé de Bouillargues.

Ma mère était originaire de ce village proche de Nîmes et mon père de Bellegarde. J’avais deux frères, Maurice, l’aîné, et Etienne qui a fondé ensuite une grande famille dans le hameau.

La scolarité du jeune Roger sera quelque peu chaotique, perturbée par la guerre puis par l’occupation allemande.

J’ai fait un an à l’école de La Laune, (où se trouvent aujourd’hui les éditions Au diable vauvert)  puis je suis allé jusqu’à 14 ans à Gallician. C’était pendant la guerre, l’école, à vrai dire, on ne l’a pas trop faite. Un coup, il n’y avait pas de souliers, un coup, il n’y avait pas pour manger, un coup, il n’y avait pas de chauffage. Je ne risquais pas de devenir un intellectuel. (Rires)

Avec un père amateur éclairé et ses copains de jeux de La Laune, il va très rapidement s’intéresser aux taureaux et à la course camarguaise.

Mon père allait beaucoup aux courses. Il avait un trotteur et avec le maréchal-ferrant du Cailar, ils allaient à Lunel, à Beaucaire, à Arles… Pour les grandes occasions, ils partaient le matin et emmenaient le diner.

L’apprentissage du raset, c’est dans la cour des mas qu’il l’aborde. À l’ancienne. Par le jeu. Avec des cornes de taureaux de fortune.

Avec Jean Cabanis, on s’est élevés ensemble. On avait un mois de différence. On s’entraînait en courant, un faisait le taureau, l’autre faisait le raseteur. On mettait une cocarde au milieu avec un fil de laine, et on alternait à tour de rôle.

Dans le sillage de son ami, qui s’est lancé deux, trois ans avant, Roger Pascal commence à raseter dans les fêtes votives en 1952.

Les débuts dans les plans de charrettes

Mes premiers rasets, c’est à Vauvert que je les ai faits . Au Jeu de ballon. Les courses du 8 mai, de la fête votive, les courses de nuit, la vache de 11 heures. C’était cornes nues.

À Vauvert, il y avait les trois frères Paulin, Jean Faraco, Tantan (Sébastien Arias)… Avec Tantan, nous sommes restés deux ou trois ans associés avant qu’il ne se fasse blesser par Janot  d’Émile Bilhau à Nîmes.

En 1952, j’ai fait les petites fêtes de village. Des courses mixtes, 4 vaches et 2 taureaux, le 3ème et le 4ème. Dans toutes les fêtes votives, en semaine, c’était comme ça.

Même s’il a commencé à raseter depuis un an déjà, 1953 marque le véritable démarrage de sa carrière de raseteur qui va durer 20 ans. Avant la grande course de Nîmes, il s’est signalé à Saint-Géniès des Mourgues, à Castries et à Marsillargues où il a fait montre d’adresse et d’efficacité.

La révélation d’un grand raseteur

Les années suivantes il se fait un nom parmi l’élite et gagne en notoriété. Il inscrit son nom au palmarès de la Cocarde Paul Ricard en 1954. Son style de raset élégant, sa présence, sa vista séduisent les aficionados.

1954, 1955, il effectue son service militaire à Nîmes (18 mois). Par chance, tombe sur un commandant très accommodant qui lui octroie toutes les permissions nécessaires à la poursuite de son activité de raseteur. Il est rappelé sous les drapeaux à Draguignan et en 1956, il part pour l’Algérie.

Nous sommes partis le 4 mai 1956. De ma classe, outre les vauverdois Maurice Michet et Gérard Prévot, il y avait également Elian Amphoux, de Bernis, qui s’est fait tuer le quatrième jour de notre arrivée à Oran.

Il restera six mois en Algérie et le jour de son retour se déroulait la finale du Trophée des As à Nîmes. Roger tient absolument à y participer. Au lieu de rentrer à la maison, il va directement aux arènes.

On a accosté , c’était midi et demi, puis une heure à Marseille, le temps de rendre les paquetages. Mon beau-frère est venu me chercher en voiture. Je lui ai dit : «  prends ma valise ! On va directement à Nîmes. » Je me suis habillé dans la voiture et je suis arrivé à la fin du premier taureau à Nîmes.

Je suis entré en piste au second taureau et j’ai levé une ficelle à 40 000 francs à Graselho de Laurent. J’ai plus gagné avec une ficelle que pendant trois mois à l’armée. Je n’étais pourtant pas au mieux de ma forme, surtout qu’on avait fait une mauvaise traversée. On avait vomi toute la traversée. Enfin, je suis arrivé à faire une ficelle.

Malgré la coupure de la guerre d’Algérie en pleine ascension dans sa carrière, Roger Pascal retrouve vite les faveurs du public et des organisateurs. Il s’affirme comme le meilleur gaucher du moment. Les engagements se multiplient. C’est à ce moment-là qu’il fait connaissance avec les nouveaux promus au Trophée des As, André Soler, François Canto, Francis San Juan.

Fabuleux Carré d’As

Je les ai connus quand je suis revenu d’Algérie. En 1955, ils étaient au petit Trophée, l’ancêtre du Trophée de l’Avenir, alors que je rasetais déjà chez les As. J’ai commencé à entendre parler d’eux en lisant les journaux qu’on recevait en Algérie et ce n’est qu’en 1957 que je les ai vraiment croisés en piste.

Roger Pascal et André Soler autour de Manolo Falomir

C’est donc à cette période que va se former le célèbre Carré d’As.

Les quatre vedettes du moment sont souvent engagées ensemble par Paul Laurent, le manadier, organisateur de courses, qui dirige alors une dizaine d’arènes parmi les plus importantes de Provence et du Languedoc. Excellent communiquant, le manageur beaucairois a vite l’idée d’inscrire en haut de l’affiche sous l’appellation Le carré d’As le quatuor qui a les faveurs du public.

André Soler, François Canto, Francis San Juan, Roger Pascal

Laurent, c’était le principal organisateur et tous ceux qui voulaient organiser une course, il fallait qu’ils passent par Laurent. Il avait les taureaux, il avait les hommes… Soler, Canto, San Juan et moi, nous courions presque tout le temps ensemble… et le plus souvent pour Laurent. On complétait la saison avec d’autres arènes comme Mouriès ou pour faire plaisir à quelques clubs taurins.

Dans le carré d’As, j’étais le seul gaucher. Quand un d’entre-nous était engagé, les trois autres l’étaient automatiquement. Mais en compétition, on ne se faisait pas de cadeau. Avec Soler, j’ai toujours été en « compétège ». On était amis mais en piste c’était chacun pour soi. Sauf quand un taureau était difficile ; On se faisait signe et aux ficelles on marchait ensemble.

Pour la Cocarde d’Or, on sortait le couteau (rires). Et après, on allait boire l’apéritif, on allait faire la bringue ensemble.

1958 1964 : Le Carré d’As au firmament de la course camarguaise

Durant sept ans, autour de la « locomotive » André Soler, le Carré d’As va susciter l’enthousiasme des afeciouna. Roger Pascal continue d’enrichir son palmarès, remportant au moins une fois tous les prestigieux trophées, Cocarde d’Or, Palme d’Or, Raset d’Or (2 fois), Gland d’Or (4 fois) ; Trophée du Provençal, Cocarde Paul Ricard (2 fois), Trophée des Maraichers à Châteaurenard (2 fois),..

L’année 1965 sonnera le glas de la magnifique aventure. Francis San Juan s’est retiré des pistes en 1964. Le 10 mai 1965 dans les arènes de Beaucaire, François Canto est mortellement blessé par Aureillois de la manade Chauvet-Chapelle. Quant à André Soler, il subit en quelques mois deux opérations du ménisque et doit arrêter prématurément à 28 ans.

La passion ne s’éteint pas

Seul, Roger Pascal poursuivra la compétition au trophée des As quelques saisons encore, glanant au gré des courses titres et récompenses.

1970 : Finale du Trophée des As – Vainqueur : Patrick Castro

Le 15 octobre 1972, le célèbre gaucher met un terme définitif à sa brillante carrière en fêtant son jubilé à Mouriès. Fanfonne Guillierme, André Soler, Manolo Falomir président le grand concours de manades de ses adieux à la piste.

S’il a remisé la tenue blanche, Roger n’en continue pas moins de baigner dans le milieu de la bouvine. Aux côtés de ses amis raseteurs, il s’active au sein de l’association des Anciens Raseteurs qu’il a cofondé et dont il assurera la présidence de 2006 à 2019.

Comme beaucoup de sportifs, Roger Pascal, conscient du caractère éphémère et aléatoire d’une carrière a tenu à s’assurer un avenir professionnel et à se constituer un patrimoine.

Dès 1955, tout jeune marié, il achète une petite maison au Cailar avec les premiers gains des courses qu’il a précautionneusement économisés. Sept ans plus tard, c’est à Beauvoisin qu’il va définitivement s’installer et développer des activités commerciales et immobilières.

En 1962, j’ai acheté mon premier café à Beauvoisin, le café du Nord, puis le petit Café dont j’ai vendu la licence à la Ceinture à Montcalm. Quand le Grand Café a été à la vente, je l’ai acheté. Puis, j’ai créé la discothèque.

Toute au long de ma carrière de raseteur, j’ai tenu à économiser et à me mettre – moi et ma famille – à l’abri du besoin. Entrant dans le grand âge, l’ancienne gloire du crochet qui aux côtés de Gérard Barbeyrac a donné son nom aux arènes de Beauvoisin, continue d’égrener ses souvenirs et transmet la belle histoire de la course camarguaise.

La mémoire est encore vivace et la passion inaltérable.

Guy Roca

Avec quelques amis intéressés par l'écriture, la photo, la vidéo, les nouvelles technologies de la communication, nous avons créé Vauvert Plus en novembre 2010. Avec la même passion, la même ardeur, la même ambition, je participe aujourd’hui à la belle aventure de VOIR PLUS, le journal numérique de la vie locale et des associations, de l’actualité culturelle et sportive en Petite Camargue.
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