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Goya à Lunel (1976) sur Daniel Pellegrin

Dans la série  des grands Cocardiers, je vais vous conter à travers lui sa destinée.

Il se nomme : GOYA de la Manade LAURENT

«  Je suis né au printemps de l’année 1964 sur les Terres des Marquises. J’avais pour aïeul Vovo et pour père Loustic (3 fois Biòu d’Or) ; pour mère « Petite Blonde » de haute lignée, c’est dire combien  bon sang ne saurait mentir, et combien mon nom  devait un jour figurer au sommet de la gloire.

 Ma prime jeunesse, je la passais à parcourir les prés, à prendre corps avec la nature alentour, à me sentir libre et prendre ma force ; parfois je m’amusais  à renverser les auges remplies de maïs empêchant ainsi mes congénères de manger. Moi, j’étais friand  d’avoine dédaignant cette nourriture insipide.

Je devins dit-on beau, fort, grand, puissant, fantasque… et magnifique de prestance.

Je prends le nom de Goya car mon maitre Paul Laurent m’identifie aux taureaux peint par Goya, célèbre peintre espagnol.

Goya, Henri Laurent sur Estérel et Patrick Laurent

En 1968, aux  Saintes-Maries de la Mer, je fais mes premiers pas dans les arènes en courses de nuit. On emboule mes cornes et je suis lâché dans cette aire. Surpris par ce plan restreint, j’essaye  de m’évader et dans un magnifique saut arrive en contre-piste ce qui amuse les touristes venus voir «  le spectacle ». Je profite du passage pour renverser un spectateur trop curieux et pas assez leste ; là j’apprends que l’homme n’est pas invincible et je garde au fond de ma mémoire ce moment.

Dorénavant, les parties se feront plus vives, plus hardies, plus puissantes. Je prends de l’assurance, m’ancre en piste dès la sortie du toril, j’épie d’un œil noir l’adversaire, anticipe son départ et le poursuis de toute ma  puissance jusqu’à hors les barrières. Les touristes sont ravis, applaudissent à chaque sortie alors que les aficionados sont sur leur réserve. Mais je ne laisse pas indifférent… Je poursuis ma carrière avec une assurance accrue ; les hommes en blanc sont prudents désorientés par mon attitude, par la vivacité de mes réponses, par ma hardiesse et agilité à faire un aller retour en piste tout en mesurant l’aptitude de l’adversaire  à venir à ma tête. Chaque mouvement est perçu ; Je cherche l’homme dans une chasse meurtrière ; j’effraie, raseteurs et spectateurs. Mon assurance grandit au fur et à mesure des saisons. À mon entrée en piste, tête portant fière et haute, j’inspire la crainte. Je dégage parait-il une puissance dangereuse et cela se confirme  quand au Grau du Roi, j’inflige en 1971 une blessure impressionnante au raseteur Max Zaragoza. 

Le public répond présent à toutes mes sorties, je deviens le « Maître de la piste » et de la contre-piste, envoyant valdinguer tout homme présent et j’inflige maintes blessures à des spectateurs imprudents qui se trouvent sur mon passage. Les arènes se remplissent jusqu’à parfois laisser les aficionados derrière les murs tant celles-ci sont pleines.

1973 : Une année faste pour moi, mon nom résonne dans le monde de la bouvine. Les courses où je parais emplissent les arènes et le corps à corps avec les raseteurs enthousiasme le public tant je peux répondre par ma vivacité, mon acuité, ma méchanceté. Difficile de prendre mes attributs, les primes s’envolent, des cocardes rentrent à 2 000 F, 2 500 F ;  il faut oser, Daniel Pellegrin s’essaie à Lunel mais je l’envoie bouler et le blesse sous les cris des spectateurs apeurés. À Beaucaire, les arènes sont archi pleines, on refuse dit-on 2 000 personnes qui hurlent leur désapprobation à ne pas voir un spectacle pour lequel ils s’étaient déplacés. Sur mon nom Goya, les arènes font recette. J’impose mon style, ma marque et celle de ma manade ; ma devise brille quand j’entre en piste. J’inspire, peur et respect, j’inspire courage et action, j’inspire intelligence et tactique. Je suis à nul autre pareil ! Je suis moi, Goya !

1975, je me blesse en avril et reste jusqu’en septembre dans les prés à  soigner ma boiterie. Seul, je refuse toute aide et on me laisse tranquille ; je me guéris et me requinque doucement mais sûrement. Au retour dans les arènes, je donne du plaisir à tous, par ma détermination à reprendre la course là où je l’avais laissée. À Arles, dans des arènes combles, Patrick Castro se lance au devant de Goya dans un raset mémorable, un raset d’anthologie, tout en cueillant le deuxième gland  sous l’ovation du public : raset promis au journaliste Yves Mourousi, raset qui emporte le public dans une liesse qui mélange peur et joie pour la beauté du geste, du moment, qui emporte tout sur son passage, faisant se lever la foule dans des applaudissements nourris.  

1976, voit ma consécration par le trophée remis à Monsieur Laurent pour la qualité de mes courses : Le Biòu d’Or.

Les années se suivent, Patrick Castro mon principale adversaire, Émile Dumas, Georges Rado, Frédéric Lopez, Daniel Pellegrin, Jean Jouannet, Patrice Meneghini, Jacky Siméon, Christian Chomel… contribueront à s’engager sur mon nom, non sans se sentir parfois en danger quand je les serre de trop près avant l’arrivée en contre-piste. Il ne faut surtout pas se laisser distraire car je suis prompt à la réponse les raccompagnant derechef dans la puissance qui se décuple quand je sens la sueur de l’homme qui s’échappe pour arriver le premier à la barrière, car il est sûr que je ne le manquerai pas. L’homme transpire la peur, je la hume, elle imprègne mes narines et je veux faire mienne cette peur. Je sais que le public attend lui aussi, il angoisse, le silence puis les cris ponctuent chaque passage.

Le public est toujours présent, le public même s’il est partagé dans certains ressentis, sait, sent, que je fais parti de l’histoire de la bouvine.  Il reconnait la noblesse de ma race, ma prestance, et m’honore à chacune de mes sorties en piste.

Il me reconnait en majesté, en puissance, terrorisant public et raseteurs. Je suis !

1981 ; il est temps pour moi de prendre ma retraite et ce n’est pas sans émotion que Manadier, Gardians, Amis, après le tri  me voient monter pour la dernière fois dans le char me conduisant pour ma dernière course à Beaucaire.

Patrick Castro m’honore d’un dernier raset et c’est sous les applaudissements nourris et tout en majesté que je réintègre le toril.

Je regagne mes chers prés, là où ma vie de liberté s’est fait jour, et malgré le poids des ans, je me réadapte à mon univers sur mes terres nourricières.

Je manque aux aficionados et un jour les « Amis de Goya » ont l’idée de me statufier de mon vivant et l’inauguration a  lieu en mai 1984 à l’entrée ouest de Beaucaire.

Henri Laurent, fils de Paul Laurent, récite un poème lors de l’inauguration :

«  Toute la vie on t’a critiqué
Mais autant t’ont adoré.
Je crois que si tu n’avais pas existé
Il aurait fallu t’inventer. »

 Je coule paisiblement mes jours, mais le poids des ans se charge, je m’affaiblis. Je regarde partir mes congénères vers les arènes et c’est sans regrets que je profite de ces moments dans cette plaine chérie. L’hiver de l’année 1986 est rude, je vois ma vie s’étioler doucement, les forces me quittent. Le froid s’agrippe à ma peau pourtant bien épaisse, la pluie, le vent me fragilisent et un jour de  janvier, le 30, quand le froid est plus froid, quand le vent s’acharne à vouloir me pénétrer, je me couche et m’abandonne à la divinité qui m’attend, je m’endors paisiblement pour ne plus me réveiller.

Je suis enterré dans  et sur  la terre qui m’a vu naitre, celle du Mas des Marquises. »

Ainsi, se termine l’histoire d’un très grand taureau qui aura défrayé les chroniques de la course Camarguaise. Il devient ainsi un taureau de légende.

Marie-France Sabatié

Passionnée de bouvine, je partage par l'écriture mon ressenti, ma passion sur ce qui fait la richesse de ce terroir, courses camarguaises, traditions, manades, ...
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