Quand on analyse la liste des catéchumènes protestants, établie à partir de 1809 (ce qu’a fait le regretté Alain Teulade, alors président de la Société d’Histoire de Posquières-Vauvert), on est frappé de voir l’âge relativement avancé de nombre d’entre eux.
Cette foule de garçons et de filles, ou plutôt d’hommes et de femmes qui semblent vouloir rattraper le temps perdu, faute d’avoir pu être baptisés en temps et en heure, confirme la permanence de l’esprit réformé tout au long du XVIIIe, malgré la clandestinité et la répression. De plus, on observe que presque tous savent lire et écrire, et ce bon niveau d’instruction générale – et pas seulement religieuse- explique sans doute cette résistance. On comprend mieux dès lors l’importance particulière de cet édifice, importance non seulement physique par sa massivité et ses réminiscences grecques -qui se retrouvent ailleurs- mais aussi symbolique. C’est cela qu’il s’agit de saluer aujourd’hui.
L’histoire de Vauvert est-elle avant tout religieuse ?
par Jean-Luc Bernet
Peut-on dire de notre histoire locale qu’elle est religieuse « avant tout » ? Sans doute cela serait-il excessif. En effet toutes les villes de quelque importance et de quelque ancienneté portent dans leur histoire l’empreinte profonde de la ou des religions, non seulement comme croyance mais aussi comme pratique collective et matrice d’une organisation sociale. Vauvert n’échappe donc pas à la règle.
Distinguons seulement trois éléments qui donnent à la religion une place particulière dans notre histoire, et sans doute, même s’il ne s’agit plus aujourd’hui que de traces, dans notre mentalité :
- la forte présence juive à Posquières, dès le haut Moyen-Âge et jusqu’au XIVe siècle
- un peu plus tard, l’édification du sanctuaire « Notre Dame de la Vallée verte », qui donnera son nom à Vauvert
- l’arrivée de la Réforme au milieu du XVIe siècle et sa diffusion très rapide dans la population locale.
C’est évidemment cet aspect que nous retiendrons, pour mettre en exergue l’importance du grand Temple et de sa reconstruction au début du XIXe.
Une récente conférence a apporté bien plus d’éléments concernant l’histoire du protestantisme à Vauvert que ce qu’on peut en écrire sur ce bref document qui ne vise, en toute modestie, qu’à apporter un éclairage complémentaire. Notre association s’est déjà penchée sur la question, en de multiples occasions (1), ainsi que dans le cadre de son bulletin n° 10, paru en mars 2025. Y est abordée comme un « paradoxe », ou à tout le moins un fait surprenant (2), l’étonnante persistance dans les institutions communales, tout au long du XVIIIe siècle, du poids de la Religion Prétendue Réformée (ou RPR, ainsi que l’Église catholique la désignait à cette époque), alors même que ses adeptes étaient contraints à la clandestinité, et violemment réprimés dès lors qu’ils avaient l’imprudence de se dévoiler comme protestants.
En comparaison, on voit que d’autres villes, cédant à la force, se sont beaucoup plus rapidement et définitivement détournées de leurs attaches protestantes. Après un siège de deux mois, Montpellier, pourtant « place de sûreté » reconnue comme telle par l’Édit de Nantes, fait « amende honorable » à Louis XIII et à son ministre Richelieu, accepte le démantèlement de ses fortifications et n’interviendra plus guère dans les troubles qui continueront d’agiter notre région tout au long du XVIIe siècle.
A Vauvert au contraire, quelque chose comme l’esprit du protestantisme s’est maintenu tout au long du XVIIIe siècle, faisant face à une réaction des autorités où la répression restait, le plus souvent, la règle. La discrétion était de mise, la survie étant à ce prix ; mais le niveau d’instruction des religionnaires, leur qualité de possédants, le développement d’activités agricoles et commerciales nouvelles – le XVIIIe siècle est, comme l’a montré Émile Guigou, celui de la « conquête » de la Costière et du développement nouveau de la vigne et du vin en lieu et place du roseau, de l’élevage et des céréales- ont également joué leur rôle dans cette forme très particulière de compromis politique local. Lequel compromis tranchait avec l’ambiance générale qui n’était pas -pas encore, l’édit du même nom datant de 1787- à la tolérance. Mais peut-être la brutalité dont a fait preuve Cavalier le 18 octobre 1703, lors de son passage à Vauvert, où il comptait pourtant de nombreux amis, a-t-elle également joué dans cette forme de soumission du monde protestant. Soumission apparente seulement, puisqu’elle masquait en surface toute une structure qui ne demandait qu’à se réveiller à la première occasion.
Cette occasion, la Révolution la fournit de manière éclatante, pour les protestants, comme aussi pour les Juifs. Mais il fallut attendre que les désordres des années 1790, durant lesquels toutes les religions -protestantisme compris- n’ont pas toujours été à la noce, puis les bouleversements des guerres napoléoniennes, s’apaisent pour que la communauté protestante retrouve enfin les conditions politiques et financières d’une vraie renaissance.
C’est ce qui explique que le projet de construction du Grand temple n’apparaisse que dans les dernières années de l’Empire, et que l’édifice lui-même ne voie le jour qu’en 1816. Au-delà de la relative célérité de la réalisation, et de la faveur dont elle a bénéficié de la part des autorités en place -mais l’explication en est donnée ci-dessus- il faut aussi noter le grand nombre de catéchumènes qui sont reçus à la communion à partir de 1809 (date de ce premier recensement).
Le regretté Alain Teulade, qui fut longtemps président de la Société d’Histoire de Posquières-Vauvert, en a reconstitué la liste sur plusieurs années à partir de 1809. On y relève, au moins les premières années, des âges relativement avancés de 20 ans et plus. Cette foule de garçons et de filles, ou plutôt d’hommes et de femmes qui semblent vouloir rattraper le temps perdu, faute d’avoir pu être baptisés en temps et en heure, apporte un élément qui confirme ce qui a été dit concernant le maintien d’un pouvoir politique et économique aux mains de la communauté protestante malgré son apparence de clandestinité : la quasi-totalité savent lire et écrire, ce qui n’était sans doute pas le cas de la partie catholique de la population.
Tout ceci donne quelques indications sur l’importance particulière de cet édifice, importance non seulement physique par sa massivité et ses réminiscences grecques -qui se retrouvent ailleurs- mais aussi symbolique. C’est cela qu’il s’agit de saluer aujourd’hui.
- Cf notamment « Les protestants à Vauvert de 1560 à 1860 », mémoire d’Albert Richard
- Cf « Le paradoxe protestant » – Bulletin n°10 de la Société d’Histoire de Posquières-Vauvert
- Cf « Les conquérants de la Costière », Émile Guigou – Editions Anthropos


