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Ce samedi 25, à la salle Lapeyran à Le Cailar, le rideau est tombé  pour la dernière édition du célèbre « Bistrot philo » animé par Alain Guyard.

Ce n’est pas la présentation faite par quatre charmantes dames qui aura atténué  la déception des quelques 150 fidèles qui, pour beaucoup, suivaient ces soirées depuis une dizaine d’années. Soirée festive, quand même, comme d’habitude, puisqu’elle coïncidait avec la parution du dernier ouvrage d’Alain Guyard : 33 Leçons de philosophie, par et pour les Mauvais garçons, aux Editions Le Dilettante.

Ces livres présentés par nos libraires Vauverdois, Gérard et Michel, de La Fontaine aux Livres, seront plus tard, dans la soirée, dédicacés par l’auteur.  

Nous avons retrouvé Alain Guyard pour un entretien à bâtons rompus autour de cet ouvrage. Le ton et la façon très « Guyardesque » du dialogue ne doivent donc pas vous surprendre…. ! C’est en toute liberté – la sienne et la nôtre – que nous retranscrivons cette conversation.

Tout d’abord, Alain, tu nous rappelles le titre de cet ouvrage et tu nous dis si c’est un essai, un roman, un recueil de leçons…. ?

AG – Ça s’appelle : 33 leçons de philosophie par et pour les mauvais garçons.  Et c’est édité chez Le Dilettante. C’est pas vraiment un titre, c’est simplement pour décrire l’objet,  parce qu’on a été infoutus de lui en  trouver un. D’autre part, c’est un peu tout ce que tu viens de dire. C’est trente trois leçons qui se déclinent. Je voulais faire comme des exercices d’admiration pour des philosophes que j’aimais bien, Par la suite, je me suis dit qu’il serait plaisant et agréable  d’être vachard et méchant à l’égard de philosophes que j’aimais pas. Au fil du temps, j’ai eu l’impression d’avoir des loupés, aussi je reviens sur des mêmes philosophes. Finalement, je vais un peu dans tous les sens. Pour autant, il n’y a pas que des leçons. A ces exercices théoriques assez amusants pour présenter des philosophes, j’ai trouvé assez croquignole d’ajouter des exercices pratiques.

Tes leçons ne sont pas à recommander aux futurs bacheliers, et tes exercices pratiques sont autant de pousse au crime et de provocations… 

AG Tu as raison, mais le mot « provocation » est intéressant : provocation, c’est ce qui vient, devant la vocation, c’est ce qui appelle la vocation. Epictète, philosophe de l’antiquité, disait que la philosophie n’est pas une profession, mais une vocation. Pour faire naître la vocation, il n’y a pas d’autre solution que la provocation. Pour moi, c’est quelque chose de très important. La philosophie n’est pas une érudition mondaine pour briller en société, c’est quelque chose qui doit déranger et faire scandale. La philosophie, c’est l’art de s’arracher de ses préjugés, donc on tourne le dos à l’opinion la plus communément répandue. Par conséquent, on prend un risque, mais c’est une espèce d’ivresse supérieure.  Ce qui veut dire que si tu suis les leçons que je préconise, tu as plus de chances d’avoir à faire à la maréchaussée que d’avoir une bonne note au bac.

Revenons au livre par lui-même, d’abord, la couverture : qu’est ce qu’elle représente ? 

AG – Sur la couverture, nous avons trois bons zigs qui ont tous les attributs des skinheads de la belle époque 1960 / 1970. Ce mouvement, issu du milieu prolétarien anglais, était profondément antiraciste, ouvriériste et révolutionnaire. On a pris la photo de ces trois types là en référence à cette époque. Tout d’abord , des jeans qui moulent bien pour montrer que pour faire de la philosophie, il faut en avoir entre les oreilles, et, aussi, beaucoup plus bas. Ensuite, on a remplacé les têtes par celles de Descartes, Nietzche et Foucault. On voit plus Foucault en Skin parce qu’il a plus un poil su le caillou. Quand tu regardes de près la vie de Descartes, tu t’aperçois que c’était un mercenaire qui a passé son temps à trucider des gars d’en face et dont le premier  traité de philosophie, a été un cours d’escrime pour négocier un type d’un seul coup d’épée.

On en arrive à la structure du bouquin, il y a de l’argot, et celui que tu utilises, c’est de l’Alphonse Boudard, du Simonin, celui des voyous, différent de celui des bouchers ou des ébénistes ? 

AG – Y a une écriture que j’ai mis du temps à trouver, puis, après des remarques de lecteurs, je me suis lâché à utiliser ce type d’écriture qu’est l’argot. Comme tu dis, au sein même de l’argot, tu as les argots de métiers. Moi j’ai essayé de revenir à  l’argot originel. Tu as cité Boudard et Simonin, ce sont des gars qui sont restés fidèles au vocabulaire utilisé par les coquillards de Dijon au procès qu’ils ont eu en 1455. La police les a mis a la torture et ils ont avoué avoir un langage secret. Ça a donné le premier dictionnaire d’argot ! C’est un précieux trésor littéraire qu’il faut conserver et entretenir car j’ai peur qu’il ne meure. A ma connaissance personne ne l’écrit plus.

Dans l’index, à la fin, tu affubles tes philosophes de surnoms-qualificatifs : le surineur, Marx : petit tapin de grand capital, Antisthène roi de la baston…on est toujours chez les mauvais garçons. 

AG – Tout à l’heure je t’ai dit que le travail de la philosophie devait t’arracher aux préjugés et aux opinions dominantes. Aujourd’hui, ceux qui font de la philosophie, sont tout à fait à leur place dans le dispositif spectaculaire qui en fait des marchandises médiatiques. Il y a donc un problème. Quand tu enquêtes sur les vrais philosophes, leur biographie, tu découvres que ces types se sont toujours coltinés avec les autorités. Les gugus que tu as présentés, ont toujours eu des rapports ombrageux avec les autorités gendarmiques ou religieuses et souvent fricoté avec la case prison. Plus près de nous, on a vu Foucault se faire embarquer par les flics après une manifestation. Je voudrais savoir, depuis 40 ans, quel est le philosophe connu qui a fini dans un panier à salade. Philosopher, c’est aussi prendre des risques en étant solidaires de gens qui sont dans la panade.

Dans les soirées bistrot, tu as toujours mis en opposition deux philosophes, là, dans ta galerie de portraits, il n’y a que des gens que tu aimes bien, et avec eux, tu règles  le compte de certains autres. Encore les mauvais garçons… 

AG – Oui, mais l’histoire de la philosophie, c’est l’histoire d’une baston au fond d’une impasse. La première leçon, c’est « Antisthène, Roi de la baston » Antisthène est en train de se battre, Socrate, le père de la philosophie, le voyant dit : « Emmenez mois ce métèque, à voir la façon dont il se bat, il sera très très apte à la philosophie. »

Donc, la philosophie est déjà marquée du sceau de la baston. En plus, le premier travail des philosophes, c’est de démolir  la thèse de l’adversaire et souvent avec une extrême mauvaise foi et des manières  déloyales. Au cœur de la philosophie, il y a l’exercice de la pensée, en tant qu’elle est l’exercice de la bagarre.

Le succès du buffet est toujours assuré

C’est pour ça qu’il n’y a pas de femmes, à part celle qui répond au doux nom d’Hipparchie, bien que ce soit une hargneuse ? 

AG – Elle, déjà, c’est une teigneuse. On est au 3ème siècle avant Jésus-Christ, et la légende veut que pour choquer,elle n’hésitait pas à forniquer avec son chéri, à loilpé, sur le trottoir. C’est une bourge qui n’a pas peur de se déclasser, exactement le contraire des conneries de Walt Disney. Elle vient du haut de la classe sociale et elle décide, par solidarité avec son mecton, de se solidariser avec la lie de la société. C’est quand même une gonzesse qui a pas froid aux yeux. Y a malheureusement pas assez de grognasses dans cette histoire. J’aurai voulu en mettre de partout de cette espèce, mais la philosophie est  un pouvoir comme les autres, et le savoir comme le pouvoir sont des affaires essentiellement phallocratiques. Dans notre société, les femmes ont toujours dû se battre, et ça a toujours été très difficile pour elles de trouver leur place au soleil du savoir et du pouvoir.

Finalement, on a les mauvais garçons, la provocation, la castagne, tu rajoutes les idées subversives de certains… c’est pas dangereux la philosophie ?

AG – Ah, mais bien sur… ! Une anecdote assez drolatique : nous sommes chez Platon au 4ème siècle avant J-C, Diogène se pointe, et l’un des invités désignant Platon, dit à Diogène : » Lui, est un vrai philosophe, il écrit des livres… »
Et Diogène de répondre en éclatant de rire :  » Lui, un philosophe ? Mais qui dérange t’il ? »

Là, l’idée est vachement importante. Il me semble que la philosophie est une prise de risques. Risque existentiel, parce que ça n’est pas vivre comme tout le monde. Etre vendeur de bagnoles ou agent immobilier, c’est pas prendre de risques. Ces gugus se mettent en danger en  tournant le dos à tout ça. Ils ont pris des risques intellectuels et existentiels parce qu’ils interrogent les valeurs de la vie. Ils sont pas là à profiter des valeurs qu’on va leur imposer… 

De la République de Platon, au Contrat social à Spinoza, ou d’autres, tout ces gens sont entrés dans la politique, ont émis des idées de gouvernance. Et pourtant, combien de fois tu nous as  dit qu’être  philosophe était incompatible avec gouverner.

AG – Là, c’est une trop vache de question que tu me poses. Mais je te dirai que le travail philosophique est un travail de désillusionnement. Philosopher, c’est arracher les gens à  des rêveries qui les éloignent du réel et de leur existence. Les arracher aux fantômes et au mensonge. Pour leur donner la possibilité d’expérimenter la liberté. Tout simplement. La philosophie est créatrice de liberté et donc elle a à voir avec le politique. Maintenant, gouverner nécessite de fabriquer des illusions. Gouverner les autres, nécessite que les autres renoncent à se gouverner eux-mêmes, donc renoncent à exercer la liberté sur leur propre vie. Tu as deux solutions : soit tu te gouvernes toi-même, soit tu es gouverné par les autres, et dans ce cas les autres doivent te maintenir dans l’illusion qu’il est bon pour toi que tu renonces à vivre ta vie. C’est la raison pour laquelle je maintiens qu’on ne peut pas être du coté de la philosophie et du côté des  gouvernants.

Est-ce que c’est ce qui te fait dire que la politique est un gigantesque boxon ? 

AG – Oui…la politique est un gigantesque boxon, faut pas être dupe de ceux qui nous promettent le bonheur alors qu’ils nous endaufent.

Dans ta galerie de portraits, tu zappes notre belle époque contemporaine… pas un qui mérite de s’y trouver ? 

AG – Quand même… je finis avec des auteurs très contemporains : Deleuze, Jankélévitch, Foucault. Cossery. Par ailleurs, il y a certainement des philosophes qui travaillent, mais je suis pas en mesure de savoir si autour de nous des philosophes ont une forme de pensée suffisamment féconde pour nourrir les décennies à venir. Je ne saurai le dire. Je me suis cantonné aux quatre cités plus hautes, quatre zigotos qui font déjà quatre Dalton pour affoler un Lucky Luke… !

On va terminer avec celui qui à lui seul mériterait qu’on lise ton bouquin : Albert Cossery… 

AG – J’en parle avec beaucoup d’émotion…Il a une histoire parfaitement succulente. C’est un type qui venait d’une famille assez argentée, en Egypte. Son père lui expliqua qu’il était temps de finir de ne rien faire, boire du thé, séduire des filles et aller au bordel ? C’est à Paris qu’il convenait d’aller faire des études. C’est donc avec l’argent paternel qu’il part faire des études. Quand tu es fin, lettré et dilettante tu vas à Saint-Germain des Prés rencontrer des gens comme Miller ou Camus. Caussery passait donc son temps à faire la fête avec toutes ces belles plumes de l’époque. A la fin de l’année, pour justifier son besoin d’argent, il envoyait à son père des faux diplômes qu’il faisait exécuter par des faussaires….  Il a fait ça des années, sans rien branler, jusqu’à ce que son père découvre la supercherie. Ensuite, il a consacré sa vie à écrire très peu mais très bien et notamment Mendiants et orgueilleux, qui reflète ce qu’il est. C’est la vie imaginée  de ce peuple du Caire qui a suffisamment d’orgueil pour refuser Dieu, le travail et la police politique et lui préférer l’art suprême   et divin  de la fainéantise. Toutes ces injonctions pour faire quelque chose de leur vie ; ils les rejettent avec une morgue et une aristocratie du caniveau qui est absolument géniale. Il n’avait rien pour lui, sinon cette aristocratie des désargentés, qui était absolument touchante quand on rencontrait le type. Il portait ça sur lui.
Je l’ai baptisé « le dernier des Pharaons » parce qu’il avait cette superbe, cet espèce de détachement souverain et princier du type  qui ne possédait rien, mais pour qui le spectacle du monde était la plus belle des possessions. Et tout ça, il arrivait à le mettre dans son écriture.

Un grand merci à Alain Guyard  que nous retrouverons pour une soirée à la librairie La Fontaine aux Livres. D’autre part, les diverses interventions d’Alain Guyard se poursuivent dans notre région. Pour en connaitre les lieux et heures, consultez le site de Diogène Consultants.

   Textes et propos recueillis par Edmond Lanfranchi

Guy Roca

Avec quelques amis intéressés par l'écriture, la photo, la vidéo, les nouvelles technologies de la communication, nous avons créé Vauvert Plus en novembre 2010. Avec la même passion, la même ardeur, la même ambition, je participe aujourd’hui à la belle aventure de VOIR PLUS, le journal numérique de la vie locale et des associations, de l’actualité culturelle et sportive en Petite Camargue.
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