Première partie
Son engagement chez les pompiers n’est pas né d’une vocation précoce mais plutôt du hasard d’une conversation avec Louis Verdier, son collègue de travail à la distillerie des Costières.
J S – On faisait sécher du marc pour la chaudière à la vieille usine, là où se trouve aujourd’hui la résidence du Mireille, et Louis Verdier me dit : « Jean, on recrute huit postes de sapeurs pompiers volontaires à Vauvert ; il en manque un. Le père Gache (Aimé Gache, chef de corps du centre de secours) cherche le huitième mais ne le trouve pas. Tu devrais venir ». Il n’a pas eu besoin de me mettre une forte pression. Spontanément, j’ai répondu : « j’arrive. »
Il faut dire que je me trouvais en pays de connaissance. Avec René Gache, le fils du chef de corps nous étions déjà de bons copains. Ma passion, alors, c’était le bricolage, mais comme je ne disposais pas de beaucoup d’outillage chez moi, j’allais bricoler chez lui à sa menuiserie située en bordure de la RN 572 (actuellement avenue de Lattre de Tassigny).
Albert Lacan venait de s’engager lui aussi. Avec Albert, nous travaillions ensemble à la distillerie. Nous avons travaillé trente ans ensemble et partagé autant d’années de compagnonnage chez les pompiers.
Vous êtes ainsi devenu le huitième homme.
J S – En 1954, il y a eu une importante réorganisation des services de secours incendie dans le Gard. Vingt-deux centres ont été créés. Il s’agissait de transformer des centres de première intervention en centres de secours. Vauvert était un centre d’intervention depuis 1935. La transformation en centre de secours a permis le recrutement des huit postes de sapeurs pompiers et nous avons reçu dans le même temps un camion neuf. Il n’y en avait que trois dans le Gard : Alès, Nîmes et Vauvert. L’appui de Robert Gourdon au Conseil Général a été déterminant pour l’obtention de ces nouveaux moyens en hommes et en matériel.
Qui étaient les sept autres pompiers recrutés ?
Paul Grasset, Hubert Guyot et son frère Jo, Albert Lacan, André Massol, Jean Rodde et Robert Verdier, le fils de Louis.
Avec les nouvelles recrues, l’effectif a été multiplié par deux. Des anciens, outre Louis Verdier que j’ai cité, restaient encore Jean Castello, Elie Girard, qui travaillaient à la voirie, René Gache, Jean Sode, Marcel Marbouty, Pierre Anfruns (menuisier, rue Emile Jamais), son ouvier, Charles Bisson et peut-être encore un ou deux que j’oublie. Le centre de secours comptait donc seize ou dix-sept soldats du feu sous le commandement du lieutenant Aimé Gache, qui a pris sa retraite de chef de corps en décembre 1959.
Nous avons débuté au congrès du Vigan en mai 1954. Nous sommes partis avec le camion neuf ; nous étions « fiers comme Artaban ».
Dans votre jeunesse, ne songiez-vous pas à devenir pompier ?
Dans le village des Cévennes où j’ai passé ma jeunesse, il n’y avait pas de service d’incendie, alors, devenir pompier ne m’avait jamais traversé l’esprit.
Cévenol d’origine, Jean Sarran est né à Saint-André de Majencoules, le pays de l’oignon doux, à 30 kms du Mont Aigoual, le 29 juin 1927. Son père et son grand-père avaient une petite entreprise de maçonnerie. Ils vivaient à la fois de leur métier et de l’agriculture.
J S – On plantait des oignons en terrasse déjà à ce moment-là. On en faisait 20 tonnes. En maçonnerie, on faisait surtout des toitures. Mon père aimait façonner les toitures en ardoise.
Vous avez, vous-même, intégré l’entreprise familiale à la fin de votre scolarité.
Jeune, j’ai fait ma scolarité au Vigan. J’ai dû arrêter en classe de 5ème dans ma treizième année quand la guerre a éclaté. Mon père est parti à la guerre et moi, je suis parti… au boulot. Lorsqu’il est revenu (il a été démobilisé en 1940 à la naissance de son quatrième enfant), j’ai commencé à faire le manœuvre-maçon avec lui.
J’ai travaillé dans la maçonnerie et dans la culture de la raïolette – c’est le nom que l’on donnait à l’oignon doux à Saint-André de Majencoules, en pays raïol – jusqu’à mon départ au régiment à Clermont-Ferrand en novembre 1947. En février 1948, je suis parti au Maroc, à Casablanca. Ce n’était pas encore la guerre mais il commençait à y avoir des escarmouches. J’étais dans l’aviation, affecté au mess des sous-officiers. J’ai fait deux mois de rabiot et je suis revenu en décembre 1948. J’ai continué de travailler avec mon père jusqu’à ce que je me marie.
Et, c’est à cette occasion que vous êtres devenu vauverdois.
Je suis venu à Vauvert lorsque j’ai épousé Jeanne Galas, en avril 1951. C’est elle qui m’a en quelque sorte « déraciné ».
La première année, j’ai travaillé dans la viticulture pour mon beau-père, Alfred Galas qui avait quelques vignes avec mon beau-frère, Raymond. Ensuite, je suis rentré à la distillerie des Costières, chez André Sauvaire, à partir de Noël 1952. André Sauvaire avait repris la distillerie en 1939 à la suite du décès de son père, Gaston, créateur de l’entreprise.
La distillerie était l’unique activité industrielle de Vauvert.
C’était effectivement la seule usine de Vauvert. Il n’y avait pas encore de zone industrielle. La distillerie se situait dans le village, à proximité de la gare. Elle disposait de plusieurs bâtiments et unités de production.
L’usine principale, rue Emile Zola, occupait l’espace aujourd’hui dévolu à la résidence du Languedoc. Le grand bâtiment de la distillerie de 22 m de haut avait été construit en 1939. Un peu plus bas, vers la gare, se trouvaient les bureaux. En face, à la place des établissements Valdeyron, il y avait les garages et le parc de stockage.
Et puis, il y avait la vieille usine, comme nous l’appelions, mise en place par Gaston Sauvaire, le fondateur de la distillerie des Costières. Elle se situait entre la voie ferrée et le cimetière, là où se trouve aujourd’hui « Le Mireille ». A proximité, il y avait le château d’eau ainsi qu’un petit silo de 3 000 tonnes.
A la vieille usine, on faisait la concentration des jus, des vins, par le chaud, par le froid, les jus de fruits. Toute cette activité, c’était le domaine de Willy Long. On y stockait également des tas impressionnants de marcs de raisin qui finissaient de sécher. Enfin, les boues et les lies résiduelles étaient épandues dans des bassins de décantation sommairement aménagés après la voie ferrée et le canal sur les terrains à présent lotis du Hameau.
En quoi consistait votre travail à la distillerie ?
Chez Sauvaire, j’étais polyvalent ; on m’avait formé de bonne heure à diverses tâches. Je faisais surtout les remplacements à la chaufferie et dans divers postes haut-le-pied. J’ai pratiquement touché à tout à la distillerie, sauf… à la distillation. J’ai démonté et remonté les appareils cinquante mille fois mais je ne les ai jamais conduits. Je n’étais pas capable de remplacer un distillateur. Il m’arrivait parfois de relever un chauffeur de camion lorsque Jean Guiraud m’appelait à la rescousse d’Edmond Auzilhon, de Frédéric Bastide, de Louis Blanc ou de son fils Yves, de Marcel Cavalier ou encore de Charles Rovini. J’avais passé tous mes permis exprès. Mais finalement, conduire les camions, ça ne me plaisait pas. Je préférais travailler dans l’usine car j’étais passionné de mécanique. Je me régalais avec des clés entre mes mains.
En septembre 1965, je suis passé contremaître lorsqu’il y a eu la fusion avec l’usine d’Aigues-Vives.
Je surveillais la fabrication des sous-produits de la distillerie : traitement par diffusion des marcs (pépins et rafles), épinage, séchage des pulpes, des pépins, des lies, extraction des tartres… puis plus tard, je suis passé à la production d’engrais.
à suivre…