C’est à la très tranquille résidence d’auteurs que nous avons eu le grand plaisir de rencontrer Claude Catherine Kiejman.
Claude-Catherine Kiejman est journaliste, spécialiste des pays de l’Est. Elle à collaboré à France-Culture à L’Évènement du jeudi, Le Monde et l’Express. Elle est l’auteur des biographies de Clara Malraux, qu’elle a personnellement connue, et d’Eleanor Roosevelt. Son séjour à la résidence de la Laune est consacré à la biographie de Golda Meir.
Ce séjour, comme tous ceux qui l’ont précédé, elle l’a trouvé idéal pour travailler, les conditions d’hébergement excellentes, mais la solitude de nos marais peut quelques fois paraître quelques fois pesante !
Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, elle nous parle de sa façon de procéder pour écrire les biographies des personnages qu’elle a choisis. C’est de toute façon toujours avec passion qu’elle nous livre ses découvertes et nous emmène avec précision dans le contexte historique où évoluent ses héros.
Vous avez pratiquement abandonné le métier de journaliste pour vous consacrer à la biographie, qu’est-ce qui vous a attiré dans cette discipline ?
CCK – J’étais très liée avec Jean Lacouture qui est un des maîtres de la biographie, et, qui est spécialisé, lui, dans les hommes politiques contemporains comme le Général De Gaulle, Pierre Mendes-France ou Léon Blum. J’avais un peu collaboré avec lui justement pour Léon Blum sur lequel j’avais rassemblé un peu de documentation. Comme j’ai quand même fait du journalisme, avec un intérêt certain pour l’histoire, la biographie me paraissait convenir. Par ailleurs, la proximité avec des personnes, ça compte aussi. Nous avons habité sur le même palier avec Clara Malraux, la première femme d’André Malraux. Cette femme m’a raconté pas mal de choses… et tout ça, était toute une époque. C’est ça que j’aime : essayer de retrouver une époque, retracer un personnage dans son contexte, dans l’histoire. La biographie me convient bien ; comme je n’ai pas d’imaginaire, j’emprunte aux autres, soit par l’interview, soit en lisant ce qu’ils ont pu écrire sur leur vie, soit en s’informant par d’autres livres.
Vous avez connu Madame Malraux, ça ne signifie pas pour autant que vous puissiez écrire sur sa vie, vous avez du faire un travail de recherche.
CCK – Oui, bien sûr, mais dans ce cas, Clara Malraux a beaucoup écrit sur elle. Elle a beaucoup parlé d’elle, avec une grande liberté, de la manière dont elle avait vécu sa condition de juive allemande. Ses parents, nés en Allemagne, naturalisés Français, ont du redevenir allemands à la guerre de 14. Elle devait avoir 15 ans, et elle a ressenti ça très vivement. Son père était mort, son frère à la guerre, c’est donc elle qui a du faire face à la situation. Elle a parlé de ça assez longuement de même que de ses grands parents qui vivaient en Allemagne. Elle avait une double culture, très européenne, elle était très ouverte sur le monde. Ce que je trouve justement très intéressant dans ce qu’elle a fait pour Malraux, c’est qu’elle l’a ouvert un peu au monde. Malraux était très français, très parisien, très classique, elle, était cosmopolite. Malraux était un tout jeune homme, elle avait une culture très Européenne, elle l’a ouvert aux écrivains Russes. Moi, j’aime les gens qui parlent des langues, qui sont cosmopolites au meilleur sens du terme. Dans ses mémoires Clara nous parle de leurs aventures au Cambodge, où ils ont dérobé des statues Khmers, comment il a été traduit en justice et la façon dont elle l’a défendu bec et ongles pour le sortir de là. Car, en effet, elle était très amoureuse. Et pourtant, par la suite Malraux n’a pas toujours été très élégant avec elle !
J’aimerai que vous me parliez de Golda Meir. Vous ne l’avez pas connue, donc sa bio, ça a été un travail de recherche…
CCK – Bien sûr, je ne l’ai pas connue. Pour moi, quand j’avais 15 – 20 ans, Golda Meir c’était un personnage immense, une star de la politique. Toul le monde parlait d’elle, une sorte de « dame de fer ». Bref, une femme qui impressionnait. Je n’en savais pas tellement sur elle, sauf qu’elle était née en Russie. Par contre, je savais ce qu’elle représentait pour Israël. Et pour l’Amérique aussi, puisqu’elle y vit et que l’Amérique qui fait des stars, a fait de Golda Meir une star. Avec ce personnage très fort, charismatique, ça a été un formidable trait d’union entre ces deux pays. Vous me demandiez au début comment je travaille… et bien, tout d’abord ses mémoires, sur des livres qui ont été écrits sur elle par des gens qui l’ont – ou pas – connue. Sur des livres de l’époque, notamment la guerre du kippour, le siège de Jérusalem, etc.
Dans toutes ces collections de documents, est-ce que vous allez décrypter ou tout prendre pour argent comptant ?
CCK – Non, je ne prends pas tout pour argent comptant. Par exemple, j’élimine beaucoup de détails où l’on en met trop sur sa force, son courage sa personnalité. J’en parle, je ne suis pas contre, mais ce n’est pas un livre à sa gloire, c’est un parcours de vie que j’essaie de retracer : les influences qu’elle subit, les gens qu’elle rencontre, les amours qu’elle a pu avoir, c’est comme ça que j’essaie de construire son personnage. Je ne prends pas parti moi-même. J’essaie de faire surgir une image, contrastée quand même, même si c’est un personnage tout d’un bloc : elle est sioniste et socialiste ! Elle se trompe, aussi, mais sa force, c’est de s’adapter à toutes les situations. Dans sa vie quotidienne, elle vit dans des conditions très dures, très pauvres, avec les responsabilités énormes qu’elle a, mais c’est une femme qui a une force de caractère incroyable. Elle résiste à tout, pourvu qu’Israël existe et survive. Depuis son enfance, elle a connu la terreur des pogroms dans l’empire Russe. Maintenant, elle arrive dans ce minuscule pays de la Palestine juive, entouré de pays hostiles, donc elle a vécu toute sa vie dans l’hostilité : donc il faut survivre.
Est-ce qu’elle a subi des influences qui auraient pu la faire dévier ou se tromper ?
CCK – Elle se trompe, quand elle se trompe, elle ne le reconnait pas facilement. Elle se trompe objectivement, sans penser qu’elle se trompe. Elle reconnait difficilement quelle a tort. Peut être qu’elle doute parfois mais elle ne le montre pas. C’est une femme de pouvoir, pas pour elle, elle n’est pas ambitieuse pour elle-même. Finalement, ce qu’elle préfère, ce sont des fonctions où elle s’occupe des autres, de l’organisation du travail. D’ailleurs, elle a été ministre du travail et je crois qu’elle a été un très bon ministre. En tout cas, mieux que ministre des affaires étrangères, mais Ben Gourion ne lui a pas laissé toute latitude et s’est appuyé sur Shimon Perez qui avait un poste important dans les relations internationales. Malgré tout, elle aide à la construction d’Israël avec une volonté extraordinaire. Je ne suis pas dans l’admiration, mais je suis devant un personnage hors du commun.
Elle s’est trouvée à une époque où elle a du côtoyer d’autres personnages importants : Ben Gourion, Shimon Perez, Moshe Dayan, Rabin… comment s’en est’ elle tiré ?
CCK – D’abord elle admire Ben Gourion, le suit complètement. Et puis, Ben Gourion dépasse tout le monde, c’est lui qui, pas à pas, construit ce pays. Elle lui est très attachée.
Elle ne s’entend pas particulièrement avec tous, mais elle arrive à faire consensus. Elle est de cette génération des pionniers qui sont à la racine de la construction de l’Etat d’Israël. Mais je ne rentre pas trop dans la politique intérieure Israélienne qui est très compliquée. C’est à partir des années 70 que les rivalités s’exacerbent. Avant, elle avait des gens très proches d’elle, c’était la « cuisine de Goda ». En effet elle réunissait son cabinet chez elle tout en faisant la cuisine en toute simplicité. Elle proteste quand elle voit le chemin que prend le pays, prend le chemin qui n’est pas celui de la rigueur, de l’économie, de l’égalité. Elle est quand même socialiste, dans le bon sens du terme. Elle est sioniste aussi, et ces deux composantes très fortes font qu’elle est ce qu’elle est. Comme elle est comme ça depuis l’âge de 12 ans et le restera jusqu’à sa mort, je dirai que c’est une Israélienne de choc.
Est-ce que le sionisme n’a pas pris le pas sur le socialisme ?
CCK – Sans doute, le nationalisme sioniste, le nationalisme… mais les difficultés sont telles dans cet Etat créé, entouré de cent millions d’arabes qui veulent les envoyer à la mer, je ne sais pas comment on devient. Ils recréent une sorte de mentalité d’assiégés.
Est-ce que ça n’explique pas, paraît-il, la droitisation et le nationalisme des jeunes dans l’armée ?
CCK – Je crois que la situation aujourd’hui est très complexe. Beaucoup de gens de gauche, de « La Paix Maintenant » qui ont beaucoup milité, sont fatigués, ont vieilli et voient que les choses n’ont pas avancé. Ils sont devenus impuissants devant un pays où l’argent, la droitisation ont pris une importance qu’ils n’avaient pas il y a quelques années. Dans un environnement incertain, il y a beaucoup de gens en Israël qui veulent s’en aller. Il y a beaucoup de gens ailleurs, qui veulent y venir. Il y a beaucoup de gens qui pensent que si Israël ne change pas, il ne survivra pas. Quand on est dans cette situation là, je ne sais pas ce que l’on fait. Peut-être qu’on est obsédé par l’idée de se défendre et de survivre. Mais ce n’est peut être pas la bonne manière…
Merci pour cet entretien, voulez-vous nous rappeler quelques uns de vos livres que l’on peut trouver à la librairie La Fontaine Aux Livres à Vauvert ?
CCK – Mon premier livre a été sur le Mexique en collaboration Jean-Francis Held : Mexico, Le Pain et les Jeux, au Seuil.
Un livre d’entretien avec Jean Lacouture : Profession Biographe, chez Hachette.
Un livre que j’aime beaucoup : Les Saisons de Moscou, chez Plon, Avec Lila Lounguina, qui a été traductrice de Boris Vian en Russe. Il retrace 70 ans de vie en Union Soviétique. La biographie de Clara Malraux, chez Arléa. La biographie d’Eleanor Roosevelt : First Lady et rebelle, chez Taillandier
Et la Biographie de Golda Meir, chez Taillandier, aussi, que vous viendrez nous présenter à Vauvert…
CCK – Avec beaucoup de plaisir, car j’ai été très contente de venir ici et particulièrement cette soirée à la librairie la Fontaine aux Livres. J’ai apprécié cette rencontre avec des gens sympathiques, ouverts, qui lisent… C’était vraiment très bien.
Edmond Lanfranchi