La Camargue est en deuil. Le Grand Radeau s’est voilé de noir. Le monde de la bouvine pleure l’un des derniers représentants d’une époque glorieuse, celle des gardians à cheval, ceux qui du matin au soir étaient au milieu de leurs bêtes. Ce mardi, Marcel Raynaud est allé rejoindre ses illustres compagnons de ce « mestié de glòri » qui fut l’essence de sa vie et qui lui a donné tout son sens. « Gardian-manadier » comme il aimait à le rectifier, pour mettre toujours en avant ce rapport au cheval, véritable compagnon de tous les jours. Car Marcel, tout comme son frère Jean, a sans doute passé plus de temps à cheval que les pieds sur terre, pendant ces 94 années de vie de bouvine. Et ce n’est que jusqu’à ces derniers mois qu’il avait dû se résoudre à délaisser sa monture à cause d’une mauvaise chute.
Cavalier hors pair, avec un sens inné de l’animal, il « en a fait » des dizaines et dizaines, de chevaux de travail. Le voir trier des taureaux sur ses montures réglées au millimètre était un véritable spectacle, et des générations de gardians et d’amateurs se sont formés en sa seule compagnie. Jamais un mot désobligeant ou de leçon donnée à la volée, il suffisait d’observer ce maître à cheval pour apprendre. Un modèle. En revanche, Marcel n’était jamais avare de récits et de témoignages, sur les pratiques taurines, la course camarguaise, les taureaux, la Camargue, la vie tout court. Avec une connaissance aigüe du territoire et une longue expérience du métier, c’est avec sagesse et intelligence qu’il partageait volontiers son savoir. Aux visiteurs de la manade, mais aussi aux amis, aux afeciouna et aux jeunes générations. Sans négliger un brin de poésie et de littérature, et la langue provençale, parlée au quotidien. Combien sont-ils à avoir passé des heures au Grand Radeau à écouter les fabuleuses histoires de Camargue, des Rièges à Brasinvert, en passant par le Clamadou ou le Sauvage, ou encore à écouter des vers autour d’une bonne gardiane du mas… De précieux témoignages qui resteront des références, des souvenirs inoubliables.
Marcel, avec son inséparable frère Jean, avait été la 4ème génération de la manade Raynaud, la devise rouge et bleue ayant été créée en 1904 par Mathieu Raynaud. Depuis 1985, Frédéric, le fils, menait avec eux l’élevage couronné de deux Biòu d’Or : Régisseur en 1957 et Ratis en 2013. Mais « Papé » aura eu la satisfaction de voir l’élevage perdurer grâce à Aurélie et Aude, ses petites-filles incarnant la 6ème génération, qui ont repris les rênes en 2015. Le Grand Radeau, ce bout du monde sauvage « rabiné » par le sel qu’il voyait avec lucidité disparaître peu à peu dans la mer, aura été son paradis, quasiment jamais quitté.
Photos © Annelyse Chevalier