You are currently viewing Bouvine : Jean-Pierre Isaïa dit « Chouchou » raconte sa vie dans les arènes

Il est connu sous le surnom de « Chouchou », ou encore Ben Hur dans son village natal du Cailar. Jean-Pierre Isaïa a passé plus de quarante ans dans les arènes, salles de spectacles ou stades, de Béziers à Fréjus, à vendre cacahuètes, chips, Piroulis ou panamas. Un véritable personnage apprécié de tout le milieu taurin. Il a pris sa retraite peu avant la pandémie et consigne aujourd’hui ses mémoires.

« Pourquoi ce livre ? »

« Je me le devais pour moi, pour mes proches et pour les gens que j’ai connus et que je n’oublie pas. J’avais envie aussi de montrer l’évolution de la vie. Je suis né en milieu de siècle, entre le monde paysan et le monde moderne. Tout a commencé à changer progressivement, puis sûrement vers les années 1970. La vie, le travail, les relations, les technologies.»

« Qu’est-ce qui vous plaisait le plus dans ce métier ? »

« J’ai eu une vie compliquée mais j’ai vécu énormément de choses.  Je me suis régalé avec les spectacles, j’ai rencontré des gens incroyables comme Aznavour qui m’a invité chez lui ! J’ai beaucoup voyagé aussi pour acheter mes chapeaux. Je n’aurais jamais imaginé connaître tout cela. »

« Comment se fait-il que vous faites pratiquement l’unanimité ? Les gens semblent ne pas vous avoir oublié et vous regrettent même. »

« Je suis atypique, peut-être attachant. J’ai su m’adapter à tous les milieux. J’avais un physique imposant mais je ne me suis jamais imposé, du moins en douceur… Parfois cela n’allait pas de soi. Mais j’attendais. Quand cela ne passait pas à un endroit, je passais par un autre ! Par contre je savais rester à ma place s’il le fallait. Je savais d’où venaient les gens, quel était leur parcours, leurs origines, ce que je pouvais leur apporter. Je faisais un peu l’entremetteur. Je rendais beaucoup de services aussi. Parfois on m’a mis des bâtons dans les roues, des jaloux. Cela les emmerdait tout ce que j’ai vu et surtout gagné. Des gens qui se croyaient être quelqu’un, face à un marchand de cacahuètes. »

« Vous ne le cachez pas, vous avez gagné beaucoup d’argent. Comment expliquez-vous votre réussite ? »

« J’ai toujours eu plusieurs emplois en même temps. Je dormais peu et jamais de loisirs. Mon physique me permettait de tenir. Je voulais gagner de l’argent pour pouvoir élever mes enfants et les sécuriser. J’aurais pu gagner encore plus en m’organisant mieux, mais je n’aurais pas été moi-même. J’ai été un marchand de joie. J’ai beaucoup donné. Cela faisait partie de ma technique, mais je n’étais pas obligé. J’ai créé un personnage en blaguant avec tout le monde, en faisant des cadeaux, naturellement. J’ai développé mes affaires petit à petit. J’étais partout, je vendais de tout. J’avais une vie de fou et j’étais infernal. Mais il ne pouvait en être autrement. Je ne pouvais pas faire les choses à moitié, comme un jeu de dominos ou un collier de perles. Si tu en lâches une, les autres tombent avec.

« Vous avez manié les pièces de monnaie, c’était même votre marque de fabrique avec le lancer des paquets. Comment avez-vous géré cela et votre personnel ? »

« Je devais avoir des gens de confiance mais j’ai souvent été volé, c’était inévitable. Je voyais tout, même si on dit que je faisais trop confiance. Je n’ai jamais rien dit mais je savais. Cela faisait partie du jeu. J’ai fait certains jours des recettes extraordinaires. La plus grosse, 70 000 euros en trois heures, 130 fûts de bière à Nîmes. Un concert de rock. »

« Vous avez vécu avec des pièces toute votre vie et ne voulez pas voir de carte de crédit … »

« Non je n’en veux pas. J’ai toujours eu des pièces. Je paie cash, jamais de prêt. J’ai acheté une voiture qu’avec des pièces une fois. Des anecdotes, j’en ai à raconter sur les gens qui me gardaient mes recettes dans les gradins ou celles que j’ai escampé dans des sacs poubelles partis à la benne. »

Photo archives Marc Leenhardt

« Vous avez confié votre biographie à la seule personne de la région qui ne vous connaissait pas … moi en l’occurrence! Pourquoi ? »

« J’avais entrepris ce travail il y a des années alors que j’étais encore en activité. C’était avec Michel Falguières qui malheureusement est décédé. J’ai décidé de poursuivre mais avec une personne qui n’est pas familiarisée avec le milieu taurin, qui le découvre, ainsi que mon personnage, pour ne pas avoir d’idée préconçue. Il y a du travail pour arriver à comprendre le sac de nœud de la bouvine, de cette grande famille, mais une fois que l’on a tiré le bon fil, la pelote se déroule. Dans ce livre, j’essaie d’expliquer un peu cela. C’est ce qui a fait ma vie. J’ai mis un pied dedans et je n’en suis plus ressorti. »

« Finalement les gens connaissent peu Jean-Pierre Isaïa. Est-ce qu’ils vont découvrir une autre personne dans la biographie ? »

« Ils vont retrouver Chouchou et ses anecdotes, mais ils vont aussi découvrir l’histoire de ma famille en partie d’origine italienne, le Jean-Pierre ouvrier à la Verrerie du Languedoc, et puis ce qui se cache derrière ma bonhomie, mon caractère, ce qui a motivé mon acharnement au travail, ce qui m’a fait accepter dans le milieu. »

« Qu’est-ce que cela vous fait de retourner dans les arènes sans travailler ? »

« Je n’arrive pas à rester assis, j’ai besoin de me déplacer et blaguer ! Je voyais toutes les arènes en travaillant, d’un coup d’œil, je balayais les gradins et savais qui il y avait ! »

« Quels regrets avez-vous aujourd’hui ? »

« Je regrette de ne pas en avoir fait assez. J’aurais pu voir deux fois plus de choses ! Et puis le milieu me manque. Pas le monde de la bouvine d’aujourd’hui, mais celui que j’ai eu la chance de connaître, quand les gens vivaient simplement et étaient heureux. Je suis resté un homme simple et je ne demande qu’une chose, c’est que les personnes que j’ai connues et que j’apprécie accordent un petit moment pour lire cette histoire quand elle sortira. J’ai pu la faire en partie grâce à eux. »

Propos recueillis par Nathalie Vaucheret

Photos archives Marc Leenhardt

Photo archives Marc Leenhardt

Nathalie Vaucheret

Originaire de Paris et après avoir vécu quinze ans dans l‘Uzège, j’ai eu la chance de faire des reportages en Petite Camargue en tant que correspondante locale de presse. J’ai reçu un bon accueil, découvert de belles traditions, un magnifique environnement et de très nombreuses passions et initiatives que je me régale de faire partager dans mes articles.
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