Dans son nouvel atelier fraîchement repeint, Yann Dumoget se sent à l’aise pour déployer son art. Les murs blancs font ressortir les couleurs flamboyantes de ses derniers tableaux, certains aux formats impressionnants, deux mètres sur deux. L’artiste voyageur est resté attaché à la région. Après une vie de voyages et de rencontres, le peintre est retourné s’établir dans son village natal du Cailar.
Yann aime travailler par terre. « Comme les gamins ! Cela m’est resté. Je peins à plat pour que les peintures sèchent bien. » Il a gardé une âme d’enfant vagabondant dans un monde imaginaire et bariolé. « Je me souviens encore d’un dessin animé avec un personnage qui avait repeint la nature en d’autres couleurs. J’étais fasciné. » De ces souvenirs sont nés des séries enfantines. Des toiles où se promènent des petits fantômes ou des squelettes mexicains, des animaux. Les sujets ont varié mais les couleurs et les formes sont restés, comme sa série de chamans. Aujourd’hui il jette son dévolu sur les enluminures du Moyen-Âge, s’inspirant du célèbre ouvrage « Les riches heures du Duc de Berry ». Sa dernière série s’intitule « Capitulare de Villis », inspirée d’une législation de Charlemagne sur les jardins du domaine Royal avec un descriptif de plantes et arbres. Comme dans son imaginaire d’enfant, la nature est colorée, onirique. « Je suis parti sur un style différent, avec un paysage en arrière-plan pour donner de la profondeur. » On aperçoit une montagne, le Pic Saint-Loup, clin d’œil à la région qui va accueillir ses nouvelles toiles pour les « Vignes Buissonnières » les 8 et 9 juin à Saint-Mathieu de Tréviers, notamment dans le chai du domaine de Rambier.
« J’emploie beaucoup de pigments pour la vivacité des couleurs ». Les dégradés semblent parfaits, les bulles telles des perles d’eau et les couleurs, impeccables. « Je nettoie sans arrêt les pinceaux pour un travail bien net, sans traces, ni altération des couleurs. » Les acryliques, résistants, sont souvent primaires pour rendre l’éclat sur les aplats. La magie se crée au moment où Yann peint. « J’accorde les touches les unes aux autres. Je suis avant tout un coloriste, plus que dessinateur, je joue avec les contrastes, les symétries. » Telle une musique aussi, avec ses tonalités assorties car le peintre est musicien ! Enfant, il dessinait sans arrêt et pourtant ne se destinait pas à cette carrière artistique. C’est la musique qui lui a tendu les bras en premier, participant à un groupe pendant une dizaine d’années pour des « petits » concerts et même un « petit » disque. Modeste ! Il était tout de même musicien professionnel.
Le peintre aime la nature sous toutes ses formes et les échanges avec les êtres vivants. Tout l’inspire, mais il fixe ce qui retient son attention, « là où mon imagination me porte. Le regard sur le monde permet de comprendre pour retranscrire sa propre perception, librement. » Les voyages, les rencontres, la curiosité, les pays, les gens. « La vie d’artiste est une aventure. » Yann s’est naturellement tourné vers la peinture participative, permettant à chacun de d’écrire ou dessiner sur ses tableaux. «Altérité et altération ! Cela apportait de l’inattendu. Je devais comprendre leur état d’esprit. La toile devenait un univers fascinant. Ce travail était un sésame pour aborder les gens et conserver une trace de ces rencontres. » Un L’art est un moyen de rencontre pour l’artiste, et d’expression, parfois spontanée comme les graffitis. Le travail s’enrichit et devient autre, empêche de se refermer sur soi-même. « La peinture est un espace social. »
Le peintre aime aussi varier les techniques. « Il faut oser créer ! » Collages, effets de matières, photos peintes, photos à l’ancienne, sur du papier salé aux nitrates d’argent, sculpture, feuilles d’or, billets de banque. « J’aime la superposition de couches, cela donne plusieurs visions, selon que l’on regarde de près ou de loin. » Yann se jette sur un nouveau procédé avec frénésie. La découverte d’une technique l’intéresse. « La feuilles d’or m’a pris comme un virus. » L’art est une contagion selon l’artiste. Une série de toiles en collaboration avec Bocage, peintre montpelliérain, alliant collage et peinture a été baptisée « Pictovirus », tel un virus qui se propage. « Les artistes s’inspirent les uns et les autres, c’est le principe de l’art. » Il n’a pas fait un parcours classique pour cela. « Je préférais apprendre de ce qu’avaient fait les autres plutôt que de tout réapprendre moi-même. » La figuration libre l’influencé, Combas, Di Rosa ou les peintres abstraits américains comme Pollock, Keith Haring et Basquiat.
Doué dans les études, bac scientifique en poche à 17 ans, la médecine le tentait, mais il a opté pour l’histoire de l’art plutôt que les Beaux-Arts. « Cela ouvre moins de portes mais je ne regrette pas. J’ai appris à intellectualiser ce que je fais. » L’art n’est pas antinomique avec la médecine selon lui. « L’étude de l’anatomie se faisait autrefois avec des dessins. » L’artiste est pour lui comme un docteur qui cherche à comprendre comment fonctionne le corps humain. « Quand tu es artiste, tu traduis cela en formes et couleurs, en visuels. » La contagion a fait le reste…
Au début de sa carrière, Yann s’est astreint à peindre une toile par jour pendant un an. Un pari fou qui lui a valu de nombreux articles et reportages télévisés. L’artiste s’est fait ainsi connaître au tournant du second millénaire et est devenu professionnel. Les 365 toiles ont été exposées pour l’an 2000, notamment au Carré Sainte-Anne de Montpellier. Il a enchaîné avec d’autres expositions porteuses, au Japon, en Allemagne, avec un autre artiste local, Max Dejardin. Il a résidé trois ans à Berlin puis ses œuvres ont voyagé dans une dizaine de pays. Dans les années 2007, Yann a commencé des œuvres différentes, photos, installations, sculptures, puis un grand projet autour du monde, dans une vingtaine de pays. Des galeries prestigieuses à Paris, Montpellier, Bruxelles et Beyrouth se partagent ses toiles.
L’artiste se souvient spécialement d’une exposition sur les Champs-Elysées. « J’avais un tableau à côté d’une toile de Gauguin ! » Pourtant le peintre Cailaren est resté simple et modeste. « Je ne me prends pas pour un grand artiste. Je suis une personne normale, humaniste. » Le talent a fait le reste. « Le succès de mes premières expositions m’a encouragé. J’ai de la chance. Je crée simplement pour me faire plaisir, et cela plaît !»