C’est à l’âge de 14, 15 ans qu’elle prend conscience de ses qualités vocales et de sa facilité à atteindre les notes suraigües. Élève au collège de la Révolution à Nîmes, elle a la chance d’avoir une professeur de chant, harpiste à l’orchestre du théâtre, qui la remarque et l’initie à la culture lyrique.
« Elle me faisait chanter du lyrique comme je le souhaitais mais elle me freinait car elle ne voulait pas que j’abime ma voix. »
Le goût pour le répertoire lyrique lui est venu en écoutant Mado Robin, Luis Mariano, les idoles incontestées d’après-guerre.
Mado Robin, « le rossignol français », la voix la plus haute du monde ; Luis Mariano, prince de l’opérette, un artiste inégalé.
Son grand-père paternel, Frédéric Bastide, est aussi à l’origine de cet engouement pour le bel canto.
« Quand il était à Nîmes, il passait tous ses dimanches au théâtre qui a brulé. Il me chantait la Dame blanche, et d’autres grands airs du répertoire. C’était un ténor.
C’est lui qui m’a donné l’envie de chanter et il regrettait le peu d’encouragement de mes parents pour la pratique musicale. »
Chantal Bastide est née le 18 avril 1949 à Vauvert. Elle insiste sur son lieu de naissance, le village entre Costières et Camargue auquel elle est très attachée. Fille unique, elle fait la joie de ses parents. Son père, Aimé Bastide, exerçait le métier de ferronnier avant de créer son entreprise de maçonnerie. Sa mère, Suzie Sode, épouse Bastide, était secrétaire de mairie à Vauvert, puis plus tard à Nîmes. Elle est décédée en 1966 à l’âge de 40 ans. Ce drame au sortir de l’adolescence l’a marquée à tout jamais. « J’avais 17 ans. Ça a changé toute ma vie. J’en ai gardé encore le traumatisme. »
Dès l’âge de 5, 6 ans, elle commence à chanter à l’office religieux le dimanche à l’église où elle accompagne sa mère. « J’écoutais, émerveillée, André Guigon, René Michel, les belles voix de la chorale. »
La chorale, justement, elle y fera ses premiers pas de chanteuse au moment de la communion.
Après l’école primaire des filles à Vauvert (directrice Mme Jeanne Massol), elle entre en 6ème à Nîmes au collège de la Révolution. « Maman travaillait à la mairie de Nîmes. Papa nous amenait le matin avant d’aller sur ses chantiers et le soir on prenait le car pour rentrer à Vauvert. »
En même temps que ses études, Chantal s’initie au solfège, aux dictées musicales avec les musiciens vauverdois André et Marguerite Guigon, qui les premiers décèlent son potentiel.
« C’est à eux que je dois beaucoup ainsi qu’à la Lyre vauverdoise et à Janick Molimard.
Janick Molimard m’accompagnait au piano quand je chantais le répertoire d’Edith Piaf. Je chantais tout. Tout y passait. « La Foule », « Hymne à l’amour », « Les Flons flons du bal »… Je chantais Edith Piaf et je me régalais. »

1966 : Concert salle du Château à Vauvert
De g. à d. : Guy Coquoz, Dantès Peyraque, Guy Roca, Chantal Bastide, Jean-Marie Guyot, Daniel Sarti, René Michel, Robert Albaret
En 1967, pour la première fois, elle aborde le répertoire lyrique lors d’un concert à Vauvert.
« Faites-lui mes aveux », l’air de Siébel (Faust de Charles Gounod) signe ce coup d’essai déterminant.



1969 avec la Lyre Vauverdoise
Une rencontre inattendue va lui faire franchir un pas décisif dans sa vocation naissante. Elle décide d’entrer au conservatoire de Nîmes où elle a la chance de suivre les cours d’Andréa Guiot de l’Opéra de Paris. C’était le premier poste de professeur de la grande soprano gardoise.
La célèbre cantatrice la conforte dans son choix d’orientation vocale. Sa facilité à atteindre les notes suraigües et sa virtuosité dans les vocalises la dirigent naturellement vers le registre de soprano colorature. Deux ans plus tard, elle obtient le deuxième prix du Conservatoire d’Aix-en-Provence en chantant l’Air des Clochettes de Lakmé (Léo Delibes) et participe à différents concerts sur les scènes gardoises et régionales.


Premier Prix du Conservatoire de Paris
Sur les conseils avisés d’Andréa Guiot, elle envisage de tenter la grande aventure du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris en novembre 1971.
« Le concours d’entrée est monstrueux. Nous étions 80 candidats, français et étrangers, il n’y avait que 8 places. Je suis arrivée première grâce à mes capacités vocales et à mon aisance dans les aigus. Quand j’ai fait des vocalises je suis montée jusqu’au contre-sol.
Rentrer au conservatoire de Paris, c’était merveilleux, c’était un rêve. Je me rappelle quand j’ai monté les marches pour la première fois du 14 rue de Madrid , j’avais l’impression que….je grimpais un sommet irréel, sacré… que j’allais au Nirvana ! »
Pendant quatre ans – avec une interruption de quelques mois en 1974 pour la naissance de son fils Frédéric – Chantal s’adonne sans mesure à sa formation musicale.
« J’ai fait la classe d’analyse harmonique, j’ai fait la classe d’italien et d’allemand, j’ai fait la classe de piano chanteur, j’ai fait toutes les classes. J’y allais le matin, je sortais le soir. Ce n’était pas le cas de tout le monde. J’y passais mes journées. »
Elle suit assidûment l’enseignement de professeurs exceptionnels : Jeanine Micheau, Régine Crespin pour la pratique vocale, Simone Féjard pour l’interprétation des rôles, la basse chantante et comédien Xavier Depraz pour la scène.

Puis, c’est le grand jour, le jour du concours. Le 17 juin 1976, à l’Opéra-comique, 21 candidats en lice, son père et sa grand-mère dans la salle, elle se surpasse dans l’air de la Folie (Lucia di Lammermoor de Donizetti). Son agilité vocale, sa tessiture rare impressionnent le jury qui ne trouvant pas quel prix lui décerner la classe hors concours. Premier prix d’art lyrique avec vote spécial du jury, nommée hors concours.

Paris Match lui consacre un article élogieux
Dans la foulée, Chantal passe les auditions des directeurs de théâtre, Opéra de Paris, Atelier Lyrique de la Garonne et fait ses débuts au Théâtre du Capitole de Toulouse et au Théâtre d’Angers où elle chante Les Pêcheurs de Perles de Bizet et le Barbier de Séville de Rossini.
Sa carrière de soprano est lancée.
40 ans de carrière, 30 opéras, 32 rôles
Ensuite, elle remporte la médaille d’or au Festival International des Jeunes Solistes de Bordeaux. À Limoges, elle interprète La Fille du Régiment de Donizetti ce qui lui vaut d’être engagée par le Gran Teatre del Liceo de Barcelone (Temporada 1979-1980).
L’illustre théâtre catalan n’avait pas affiché Lakmé de Léo Delibes depuis les prestations mémorables de Mado Robin en 1949. Et c’est à Chantal Bastide que le directeur du Liceo demande de reprendre le rôle ! Elle y fait sensation et son interprétation est unanimement saluée par la presse comme par le public.
L’actuació de la soprano Chantal Bastide després de l’”Air des clochettes” de l’acte II va produir un entusiasme extraordinari. Tant és així que el mestre Etchéverry no pot continuar l’espectacle. L’ovació és inacabable. Es trenquen totes les regles de la dramatúrgia quan el cor, que estava agenollat, se suma dempeus als aplaudiments i abraça la soprano.
Au Liceo, Elle a également chanté Olympia des Contes d’Hoffmann d’Offenbach. En 1986, Chantal aborde Thaïs de Massenet au Théâtre de Metz. La même année, elle est remarquée à Rennes dans la Traviata, rôle qu’elle a repris en 1987 au Théâtre Antique de Taormina en Sicile. Puis, Lucia de Lammermoor, dans toute la Sicile et en Calabre.
En 1999-2000, elle interprète pour la première fois le grand rôle de Tosca de Puccini (en France), ainsi que Norma en Allemagne.
De ses débuts jusqu’aux années 2000-2015, Chantal s’est produit sur de nombreuses scènes en France (Avignon, Aix, Bastia, Bordeaux, Carcassonne, Lille, Marseille, Metz, Nîmes, Toulouse, Ajaccio, Toulon, Reims…), Paris (TMP Châtelet, Salle Pleyel, Maison de la Radio, Salle Gaveau, Salle Cortot…) et à l’étranger, en Allemagne, Belgique, Corée, Egypte, Hollande, Italie, Maroc, Turquie, Suisse… Elle a en outre donné des concerts et récitals à l’occasion de croisières musicales (Croisières Costa, Chandris et Festival Croisifrance).
Sa voix de soprano s’étendant sur trois octaves, du La bémol grave au contre-La bémol, et, une technique éprouvée lui permettent d’aborder les grands rôles du répertoire. Mais, elle s’attache aussi à défendre le répertoire français et chante, notamment, Mireille (Gounod), Manon (Massenet), La Dame Blanche (Boïeldieu), Fra Diavolo (Auber), Hamlet (Ambroise Thomas)…
Son parcours musical s’étend plus largement au répertoire classique. Parmi les œuvres qu’elle interprète, on peut citer le Magnificat de Bach, la Messe de « Lord Nelson » de Haydn le Stabat Mater de Rossini, la Messe de Couronnement et la Messe en Ut Mineur de Mozart, le Requiem de Fauré, le Requiem de Verdi…

1981
Rigoletto de Giuseppe Verdi (Chantal Bastide dans le rôle de Gilda) avec Alain Fondary
1984
Concert du Bel Canto le 18 août, Salle Bizet à Vauvert. Aux côtés du baryton Alain Fondary, René Michel et William Thérond, respectivement, président et vice-président de l’association « Les Amis du Bel Canto ».


1985
La Traviata de Giuseppe Verdi en région parisienne (Chantal Bastide dans le rôle de Violetta).
1987
La Traviata de Giuseppe Verdi au Théâtre antique de Taormina en Sicile (Italie).


1988
Roméo et Juliette de Charles Gounod d’après de le drame de Shakespeare à l’Opéra de Reims (Chantal Bastide dans le rôle de Juliette Capulet).
1989
Concert au Théâtre municipal de Casablanca (au piano : Michèle Voisinet).

Une vraie complicité artistique sous le signe de l’amitié
Les hasards de la vie… Chantal fait la connaissance de Michèle Voisinet au Conservatoire National de Musique de Paris au début des années 70.
La première fois que je l’ai vue et entendue, c’était en 1971. Je me promenais aux abords de la salle Gaveau où se déroulaient les récitals de fin d’année du conservatoire de Paris. Je venais moi-même de passer le concours d’entrée. Michèle qui était un des professeurs accompagnateurs a alors joué. Impressionnée par sa virtuosité et la finesse de son toucher, je me suis dit : Mon Dieu, quel dommage que je ne sois pas dans sa classe. Voilà quelle a été ma première réaction.
Et, je me suis retournée pour entendre jouer Michèle. Parce qu’elle ne faisait pas qu’accompagner, elle vivait la musique, elle jouait, elle chantait en même temps la musique, voilà ! Tout ce qu’elle ne montrait pas habituellement, parce qu’elle montrait peu ses sentiments, ressortait au travers de ce piano. Et ça m’avait touchée à ce moment là, alors que je ne la connaissais pas du tout.
Après, j’ai suivi mon cursus, tandis qu’elle continuait son travail au Conservatoire National Supérieur de Musique où elle avait obtenu quelques années auparavant un Premier Prix à l’unanimité, Première nommée avec vote spécial du jury. Les pianistes, c’est à 15, 16 ans qu’ils ont leur prix, les chanteurs, c’est à 20, 21 ans.
Puis, nous nous sommes rencontrées quelquefois, nous avons fait un ou deux concerts, comme ça. Mais, ce n’est qu’en 1980 (fin 1980) que nous avons vraiment travaillé ensemble. Ça c’est produit de façon fortuite lorsqu’elle a eu besoin de moi pour un remplacement à Bastia. Elle avait un peu le trac vis-à-vis de moi, car à ce moment-là, je revenais du Liceo de Barcelone où j’avais connu un énorme succès. Elle pensait que j’allais refuser alors que finalement j’étais très heureuse d’aller chanter Gilda (Rigoletto de Verdi) à Bastia.
Très vite les deux femmes se lient d’une amitié indéfectible. Michèle l’accompagne au piano dans tous ses concerts ou récitals. Elle devient son coach musical.
Quelquefois, lorsque je faisais des remplacements, elle m’enregistrait tout afin que je puisse travailler la nuit dans le train ou en voiture. Et si nous menions en parallèle nos deux carrières, nous nous encouragions mutuellement.
Elle m’a poussée à poursuivre mes activités de chanteuse après la naissance de ma fille, elle est venue me faire travailler à domicile avant ses cours au conservatoire.
De mon côté, je l’ai incitée à présenter le concours de l’Opéra de Paris.
Sans cesse, je lui disais :
– Avec le talent que tu as, c’est dommage de garder ça pour toi et de ne pas en faire profiter les gens et puis c’est dommage de te priver de notoriété. Puis, j’ai opportunément insisté en ajoutant : Il va y avoir le concours à l’Opéra, passe le concours à l’Opéra.
– Non, non, je n’y arriverai pas. Michèle éprouvait toujours un sentiment d’humilité, une forme de réserve, de doute.
– Si, si, si… Moi, je suis sûre que tu peux. Et finalement elle a osé se présenter… et elle a remporté le concours. Voilà ! Je le sentais.
Elle déchiffrait à vue, elle lisait dans toutes les clés. Elle transposait. C’était quand même un phénomène.
Le goût de la transmission
Vient le moment où il faut songer à raccrocher sur le plan professionnel.
L’heure de la retraite a sonné depuis quelques années pour Michèle Voisinet au Conservatoire et à l’Opéra de Paris. Chantal Bastide décide de mettre un terme à sa carrière en 2013 à l’occasion d’un dernier concert à l’Espace 3000 (Centre des Congrès) à Lyon.
À 62, 63 ans, même si on a le sentiment de ne pas faire son âge, le corps ne suit plus. On est fatigué, la condition physique n’est plus au top pour les répétitions, les déplacements,..
Mais l’envie de chanter et de maintenir le lien avec l’art lyrique demeure. Chantal et son amie Michèle vont avoir l’opportunité de mettre leur talent et leurs connaissances au service de jeunes chanteurs à l’occasion de master classes organisées par leur copain du conservatoire de Paris, Jean-Pierre Torrent, directeur artistique de Pézenas enchantée. Elles vont en assurer l’animation plusieurs saisons (2013, 2014) ; la deuxième fois avec la participation d’Alain Fondary. C’est au cours de cette master class qu’elles projettent de monter Carmen, l’opéra de Georges Bizet dans les arènes de Vauvert.

Carmen, nous en avons eu l’idée toutes les deux et nous l’avons proposé à Valentine (Lemercier) qui était très heureuse d’embrasser le rôle titre. Mes relations et amitiés dans le métier m’ont permis de solliciter le concours du chef d’orchestre, Bruno Membrey et surtout du metteur en scène Frédéric L’Huillier, véritable patron de cette production.
La petite formation de l’école intercommunale de musique a été élargie à d’autres éléments extérieurs et bien sûr notre préoccupation première nous a conduit à la création ex nihilo d’une chorale.

Cette fameuse chorale constituée de volontaires, de passionnés, nous l’avons baptisée Vocissimo (en italien : la voix avant tout).
Vocissimo, une aventure humaine artistique formidable qui a duré dix ans.
Au terme d’une vie artistique dense, enrichissante et après plusieurs années consacrées à la transmission du savoir à de jeunes générations de chanteurs, Chantal tire une grande satisfaction de son parcours dans l’art lyrique.
Des regrets ? Pas vraiment. Peut-être de ne pas avoir eu assez d’ambition pour choisir entre sa vie personnelle et sa vie de cantatrice…
« Mais sinon, j’ai réalisé tous mes rêves. Je suis même allée au-delà de mes rêves ! »