Que celui qui n’a jamais fouillé dans le grenier des grands-parents lève le doigt !
Moi je le fais depuis longtemps et quelques fois, je tombe sur des « pépites ».
Cette fois-ci, c’est un cahier d’écolier. L’écolier, c’est mon père et le cahier, un cahier de « Morale ». Année scolaire 1946/1947. C’était son année de seconde technique en tant que « Motoriste », au « Collège Technique de Nîmes », actuel Lycée Dhuoda.
Alors bien sûr, cette matière a disparu des écrans radars de nos écoles françaises, au grand dam de certains, au grand plaisir d’autres.
A l’heure où les professeurs accusent les parents d’être démissionnaires et inversement, il me semblait intéressant de ressortir ce petit cahier d’écolier !
Les cours de morale dans l’enseignement français sont introduits dans la foulée des lois Jules Ferry de 1881 et 1882 rendant l’école gratuite et l’enseignement du primaire obligatoire.
La « Morale » deviendra un pilier de l’enseignement françaistrès codifié » L’enseignement de la morale doit s’appuyer sur des exemples, des récits, des observations familières, des maximes empruntées à l’expérience. L’on recommande que le premier quart d’heure de chaque journée de classe soit consacré à l’enseignement de la morale. » loi du 28 mars 1882
L’enseignement va être cadencé. Au début de l’année les leçons commencent par la vie familiale, continuent par la vie à l’école puis les devoirs envers la patrie, les règles de la vie corporelle, les qualités et les défauts individuels pour finir par les devoirs vis-à-vis de la société.
Dans le cahier de mon père, chaque leçon se termine par des pensées. On y croise Diderot, Rousseau, Marc Aurèle, Proust, La Fontaine, etc….
La lecture de ce cahier m’a fait sourire à de multiples reprises par son contenu parfois suranné. Elle est en tout cas la photographie d’une époque et à sa lecture, on peut mesurer le chemin parcouru en huit décennies… en mieux et en moins bien !
J’ai choisi un extrait qui est assez significatif de l’évolution de notre société.
Il est parfois drôle par sa désuétude, mais il informe, il conforte, il éduque :
« La Tempérance »
Quand il y a l’excès en tout, il y a désordre et manque de maîtrise de soi.
La tempérance est ainsi la vertu des volontés très fortes.
Lorsqu’on pense plus particulièrement à la nourriture et à la boisson, la tempérance se nomme : sobriété.
L’alcoolisme
C’est un fléau terrible qui mine quelques-unes des plus belles provinces françaises.
Notre pays est dans le monde, celui qui possède le plus de débits de boisson (1 pour 80) et le Français est l’homme du monde qui consomme le plus d’alcool (10 à 100 litres par personne et par an).
Or, l’alcoolisme a des conséquences terribles :
- Sur l’alcoolique lui-même. Il attaque tous les organes, affaiblit l’intelligence et la volonté.
- Sur sa famille condamnée à la misère matérielle et morale
- Sur ses descendants
- Sur la nation tout entière
Le tabac
Est moins dangereux que l’alcool, mais s’il est pris avec abus, la nicotine qu’il contient peut amener des troubles dans l’organisme.
« Le maître le plus dur, c’est l’alcool, l’esclave le plus vif, c’est l’ivrogne » (Jourdan)
Pour information, en 2022, la moyenne de consommation d’alcool par personne de plus de 15 ans et par an est de 11.7 litres (contre 45 litres en 1946)
300 000 débits de boissons en France pour 41 millions d’habitants dans les années 50 contre
38 000 en 2020. Pour mémoire, dans notre village de Beauvoisin, il y avait cinq débits de boissons pour 1404 habitants en 1946, contre un seul café en 2020 et ses 5323 habitants.
Le tabac, jugé moins dangereux en 1946 est responsable de 78 000 décès chaque année en France, et l’alcool 49 000 (Le Monde 2016).
L’enseignement de la morale sera abandonné progressivement après Mai 1968. Il n’en sera plus question jusqu’en 1985 où Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’éducation, inscrit l’éducation civique au programme des écoles primaires.
Depuis, les ministres de l’éducation se succèderont, le nom de la matière et le contenu des programmes changeront.
Aujourd’hui, nos enfants ont une matière qui s’appelle EMC. Cette matière les aide à devenir des citoyens responsables et libres, conscients de leurs droits mais aussi de leurs devoirs. Elle contribue à forger leur sens critique et à adopter un comportement éthique. Elle prépare à l’exercice de la citoyenneté et sensibilise à la responsabilité individuelle et collective.
L’école s’est donc délestée de son rôle de soutien de l’éducation parentale, en supprimant de ses programmes l’apprentissage de « la politesse », « du devoir envers ses parents, envers soi-même », « des vertus de la famille », « du respect » et de toutes les valeurs morales qui permettent au jeune enfant de se construire dans ses premiers cercles avant même de devenir un citoyen respectueux des valeurs de la république.
A l’époque où soufflait le vent de la liberté, les moralisateurs ont voulu en finir avec ce carcan « moralisateur et dogmatique ».
Et pourtant, faire se retrouver tous les enfants autour de valeurs morales communes n’est-il pas, justement, la condition sine qua none pour faire de chacun, des êtres « à la liberté de penser » ?
« Ah ! les leçons de morale en primaire des années 60, avec une phrase nouvelle chaque jour, inscrite au tableau en pleins et déliés. Autre époque où nous apprenions à réfléchir et le maître tout puissant ! les gens de ma génération des années 50, même en s’adaptant ne se retrouvent plus dans ce monde actuel où tout est dû sans devoir… (témoignage de A-M Rodriguez) »
Et vous, qu’en pensez-vous ?
