You are currently viewing <i>Taureaux de légende</i> <strong>Le Sanglier</strong>

Il est un taureau qui m’a toujours fascinée ; son histoire est devenue une légende, un mythe. Peu l’ont connu et son histoire rapportée amplifie sa légende.
Chaque fois que je vais au Cailar, je ne peux m’empêcher de penser à lui et je prends le temps de me poser près de sa stèle qui se trouve à l’entrée du village ; ce taureau se nomme « le SANGLIER ». Et je vais lui laisser le soin de raconter sa propre histoire.

«  Je suis né un jour de 1916 dans les prés du Cailar *. Ma mère « Caillette » était une vache déjà âgée et fragile et ma venue au monde a été très difficile pour elle ; elle mourut au petit matin me laissant désemparé à côté d’une laie qui avait aussi mis bas. Mon envie de vivre me fit boire le lait au pis de cette laie et je me ragaillardis prenant assurance et force.

Un matin, Claudius, le facteur du village, faisant sa tournée en vélo eut une envie pressente et se soulagea contre la haie du pré. Il faillit en pisser sur son froc tant ce qu’il voyait lui paraissait irréel ; un veau tétant une laie ! Ni une , ni deux, il enfourche son vélo et fonce vers le village voir le manadier Fernand Granon, en criant :

– « Monsieur Granon, La Caillette a mis bas et son veau tète au pis d’une laie ! » –

Monsieur Granon pensa que le soleil avait dû taper sur la tête de ce pauvre facteur ! Un veau tétant une laie !!!!

Après une insistance, il suivit le facteur, une partie du village aussi, pour voir combien le soleil du midi pouvait donner des mirages à un pauvre hère !

Ils me trouvèrent comme il avait été dit et Monsieur Granon, après avoir fait le nécessaire pour la Caillette me prit dans son domaine. Il m’éleva dans sa cuisine au biberon et dès que je le pus, je fus mis dans les prés auprès de mes congénères; je m’ennuyais auprès d’eux, j’étais assez solitaire et mon nom fut tout trouvé, on m’appela « LE SANGLIER ».

À l’âge de 3 ans, je fus mis dans les arènes, la course a été mémorable, il y a même eu un raseteur qui mourut de peur après la rouste que je lui infligeai. Fallait pas trop me titiller…

Je pris alors mes lettres de noblesse, et fus sollicité en piste maintes et maintes fois. Les primes s’envolaient ; les gradins étaient combles ; les gens arrivaient par car, par train pour me voir, moi le roi de la piste. Une fois même, le train était si surchargé qu’il ne put gravir une petite montée, et tous ont du descendre pour soulager la locomotive… j’en ai défrayé des chroniques, des mises se sont jouées sur mon nom ; des raseteurs ont eu des gratifications importantes pour me raseter… Le rasteur, REY s’est même vu offrir une voiture pour aller à ma tête. C’est dire combien j’étais le roi de la piste; Mais j’étais si doux quand je me trouvais dans les près ou au domaine de mon maître ; je l’aimais comme lui m’aimait et me respectait. Nous étions de la même trempe, ne l’appelait-on pas le « Centaure du Cailar » ?

Photo © Collection Alain Bronnert

Une fois dans les arènes d’Arles les portiers ne m’ont pas ouvert les portes du toril après mon quart d’heure passé en piste et je dus continuer à concourir en piste, j’ai fait mon travail au mieux, tapant, cognant, défendant mes attributs… Monsieur Granon est alors rentré dans une colère noire, une colère comme les hommes de sang peuvent en avoir et jura que plus aucun taureau de sa manade ne foulerai la piste d’Arles; il tint parole.. Car la parole en ce temps là était d’or.

Les années ont passé, les courses se sont enchaînées, toujours avec autant de caractère, de force ; je faisais l’admiration, mais je faisais peur aussi, j’essayais bien de m’amuser un peu comme cette fois où lorsque l’on ouvrit la porte du toril, le portier d’Aramon, Monsieur Vire, (habitué pourtant à me voir car j’ai souvent couru dans les arènes d’Aramon) s’abaissa et ne laissa que dépasser le dessus de sa tête au dessus des barrières. j’ai fait celui qui ne le voyait pas, je suis rentré tranquille et… d’un seul coup, d’un seul et de toute la vitesse, je me suis retourné et j’ai foncé sur le portier ! Le malheureux !!! je l’ai soulevé, une fois, deux fois, trois fois et je l’ai plaqué en contre piste… On m’a dit qu’il en est mort… mais je ne voulais que m’amuser… je suis en principe si gentil, (hors piste).

En 1930, 12 000 personnes sont venues me voir pour une dernière course dans les arènes de Nîmes ; une course brillantissime, une journée de triomphe.

En 1931, une dernière ovation dans les arènes de Lunel et le summum, le Président de la République, Gaston Doumergue et sa Dame sont venus à Aigues-Vives me saluer avant mon retour définitif aux prés. Le petit village était comble de gens venus me voir et me dire au revoir, il y en avait même sur les toits , sur les arbres entourant les arènes.

Mon temps dans les prés ne me satisfaisant pas, un soir, je pris la poudre d’escampette, en sautant les barrières, allant le long des routes jusqu’au domaine de mon maître.

Au petit matin, celui ci fut réveillé par des ouvriers agricoles aux cris de – « E ! Monsieur Granon, le biòu est devant la porte ! » En effet, j’étais là, tranquillement allongé, attendant que celui ci m’accueille.

Il me fit entrer, m’installa dans sa cour, me porta à manger tous les jours et chaque soir j’avais droit à son bonsoir.

Un jour le 22 octobre 1933 au petit matin, il me retrouva mort, les cornes plantées dans une balle de foin comme un dernier adieu à une dernière gloire dans les arènes.

Il fit prendre ses plus beaux draps blancs, neufs, en fit envelopper ma dépouille et je fus enterré debout dans les prés. Il honorait ainsi ce temps où j’avais porté haut les couleurs de sa manade. »

Aucun autre taureau jamais ne porta le nom de « SANGLIER »

« Si un jour, vous passez au Cailar, venez me saluer, et peut être entendrez vous mon histoire, ma stèle se trouve dans le rond-point à l’entrée du village. »

Photo © Collection Alain Bronnert

*Note de l’auteur

Même si ce récit légendaire s’appuie sur des faits avérés et corroborés, je me dois de préciser que Le Sanglier n’est pas né dans les prés du Cailar mais bien au bois des Rièges, dans les « en fòra » du château d’Avignon, au cœur de la Camargue en hiver 1916.

Mobilisé durant la guerre de 14-18, Fernand Granon avait alors confié la manade à sa mère, Anna Combet-Granon.

Marie-France Sabatié

Passionnée de bouvine, je partage par l'écriture mon ressenti, ma passion sur ce qui fait la richesse de ce terroir, courses camarguaises, traditions, manades, ...
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