You are currently viewing Adieu, Jeanne…

Il est des personnes qui si fortement rayonnent que leur présence s’impose à tous. Mais il est des personnes qui si doucement rayonnent que c’est leur absence qui devient cruelle. Jeanne était de celles-là : sa présence était douce, discrète, presque anodine, comme la lumière d’une petite bougie. La bougie s’éteint, vous êtes dans le noir.

Jeanne était née le 25 avril 1930 à Meknès au Maroc. Après un passage par une pension catholique chez sa tante religieuse en Algérie, Jeanne avait poursuivi quelques études auprès de ses huit frères et sœurs au Maroc, où elle travailla dans l’administration des travaux publics.

18 ans à peine, et la voilà mariée à un jeune beau militaire rencontré peu avant au Maroc. De cette union naquit rapidement trois enfants. Courageuse épouse, elle attendit son soldat de mari parti en campagne en Indochine, puis au Vietnam et enfin en Algérie et elle éleva ses enfants avec brio. De retour en France métropolitaine avec sa famille en Lorraine puis à Troyes, Jeanne sut rebondir et s’adapter : nouvelles perspectives professionnelles comme comptable aux Ponts et Chaussées. Et, grâce à sa curiosité, nouveaux engagements artistiques : Jeanne se mit à la photographie argentique, puis s’inscrivit aux Beaux-arts. A la retraite, diplômée en arts photographiques, elle organisa de nombreuses expositions de photographie mais aussi de peinture, tout en multipliant les engagements associatifs.

En 1996, Jeanne perdit son amour de toujours, suite à une longue maladie. Mais pas question de baisser les bras, elle sut rester positive et se montrer un soutien sans faille pour toute la famille. Près de 25 ans plus tard, ce fut à son tour de voir ses forces et son autonomie diminuer, tandis que ses engagements associatifs et artistiques devenaient plus difficiles à poursuivre à Troyes. Pour rompre cet isolement, Jeanne rejoignit alors sa fille installée à Vauvert, tourna la page de sa vie troyenne et vint prendre ancrage à la Résidence l’Accueil où elle se mit à diffuser sa petite lumière.

Jeanne, c’était ce filet de voix reconnaissable entre mille, soufflé, lent et fragile : un souffle toujours sensé, réfléchi et aimant. Un filet d’eau fraîche, comme un faible ruisseau : vous le croyez fragile ? Ne sous-estimez pas sa force vivifiante, venue des profondeurs d’une vie longue, curieuse et foisonnante. Son secret : voir toujours le verre à moitié plein. Jeanne avait l’art de débusquer le positif dans chaque situation, de donner une seconde vie à un objet, un livre ou un reste de laine. L’art de trouver quelque chose à découvrir, à travers l’objectif de son appareil photo ou avec la souris de son ordinateur. Toujours partante pour une nouvelle sortie ou pour essayer une activité.

De la Résidence L’Accueil, elle disait : « de toutes façons, j’ai pris perpète ici… Alors autant en profiter! C’est ma seconde vie. C’est incroyable de pouvoir faire tant de choses que je n’aurais jamais pensé faire avant ». Et elle y diffusait sa petite lumière de bougie, douce, tenace et constante.

Elle était le pilier du studio de Radio Système à l’Ehpad, chroniqueuse, archiviste, animatrice ; elle était aussi une tricoteuse sans faille, bricoleuse, écrivaine, peintre et bien sûr photographe officielle de tous les événements. A deux reprises, elle fut lauréate de concours nationaux d’écriture avec ses comparses de la Résidence. Elle avait même appris le rap avec des collégiens de la classe citoyenne du collège La Vallée Verte et partagé avec eux de belles pages de rire. Elle posait sur son entourage, sur la vie, un regard affectueux. Et elle continuait inlassablement de diffuser sa petite lumière.

Le 28 mars 2024, le corps fatigué de la battante a rendu les armes, discrètement, dans un dernier souffle fragile. La flamme a vacillé… Pour ceux qui l’ont connue, il semble qu’il fait plus sombre : Jeanne manque… mais elle laisse l’espoir. L’espoir de son regard positif sur les choses et les êtres. L’envie de continuer à découvrir, à apprendre sans préjugés jusqu’à 94 ans et bien au-delà. Jeanne laisse derrière elle comme un cadeau la parabole de la petite bougie, l’histoire rayonnante de sa vie.

Elise Guerroudj

Ayant grandi en Petite Camargue, et après avoir étudié, voyagé et travaillé en différents lieux en France et à l'étranger, j'ai comme lieu d'attache cette région. J'aime écrire, être à l'écoute de ceux qui m'entourent et mettre mes compétences au service des autres, en particulier des plus vulnérables.
avatar pour
avatar pour
avatar pour
avatar pour
avatar pour
avatar pour
avatar pour
avatar pour
avatar pour
avatar pour
avatar pour
avatar pour
avatar pour
avatar pour
avatar pour
avatar pour
avatar pour
avatar pour
avatar pour
avatar pour
avatar pour