L’ancêtre de l’École de musique aurait aujourd’hui 120 ans. Il avait pour nom, « Association musicale ». Qui mieux que Jacques Loubier, son dernier président, peut nous parler de cette formation associative qui a marqué l’histoire de la musique à Vauvert ?
Né en 1928 dans la cité des Costières, fils de viticulteur, Jacques Loubier a été initié à la musique dès son plus jeune âge par son grand-père maternel, Louis Martin, président de l’Association musicale pendant l’entre-deux guerres.Quand je suis né, il n’avait eu jusqu’alors que des petites-filles, il était très heureux d’avoir un petit-fils à qui il allait transmettre sa passion. Aussi, de bonne heure, vers cinq, six ans, il m’a enseigné les premières leçons de musique.
1899 : l’année de naissance de l’Association musicale
L’Association musicale a été fondée en octobre 1899 par un petit groupe de musiciens qui s’était constitué quelques années auparavant. Ils avaient baptisé cet embryon, « l’Avenir musical ». Puis, lorsqu’ils ont été rejoints par d’autres musiciens locaux, ils ont fait appel à Camille Jugla qui habitait Vauvert pour les diriger.
Camille Jugla a été le premier chef de l’Association musicale jusqu’en 1914, à la déclaration de guerre. Entre temps, il avait formé des musiciens. Le petit groupe du départ a grandi peu à peu, malheureusement la guerre a tout arrêté.
Après la guerre, les musiciens dont les rangs avaient été quelque peu clairsemés ont appris qu’un dénommé Alcide Bourrette, ancien chef de la musique militaire de Nîmes était disponible. Ils l’ont contacté et ça l’a intéressé car il dirigeait déjà deux autres formations et ça complétait son activité. Il a donc eu trois formations à diriger : l’Harmonie Cheminote de Nîmes, la Lyre Saint-Gilloise et l’Association musicale de Vauvert. Ainsi, avec trois groupes de musiciens, il pouvait pour l’occasion renforcer les effectifs de l’une ou de l’autre.
Il a donc commencé aux environs de 1920, chez nous à Vauvert, il assurait la direction de l’Association musicale et en même temps, il enseignait la musique tous les jeudis à la salle Jean Jaurès. Les parents payaient la leçon pour leurs enfants.
Chaque année la musique assurait les services lors des cérémonies, jouait au Jeu de ballon pour les courses de taureaux pendant les fêtes, elle donnait des concerts. En retour, elle recevait une subvention de la mairie.
Lui aussi a formé des élèves qui sont venus grossir les rangs de l’Association musicale.
En 1933, l’association qui commençait à acquérir une certaine réputation a participé à un concours international à Narbonne (concours de musique avec des fanfares). Alcide Bourrette a conduit l’Association musicale, renforcée par quelques éléments de Nîmes et de Saint-Gilles. Ils ont remporté plusieurs premiers prix, lecture à vue, prix d’exécution, et Monsieur Bourrette, lui-même a obtenu un premier prix de direction.
Sur la lancée, en 1935, ils sont allés encore jouer pour un concours international à La Bourboule en Auvergne. Forts de leurs succès, ils ont été fêtés à leur retour à Vauvert avec une belle réception.
À la même époque, la télévision n’existant pas bien entendu, la plupart des gens n’écoutaient jamais de musique, mais les choses vont changer peu à peu grâce à la TSF. La station de radio de Montpellier a voulu diffuser sur les ondes des concerts exécutés par l’Association musicale de Vauvert. Les techniciens venaient à la salle Jean Jaurès, colmataient quelques ouvertures pour rendre l’acoustique correcte et le concert était retransmis par Radio Montpellier. D’autres fois, c’est la musique qui allait jouer à Montpellier et c’était également radiodiffusé sur les ondes.
La période de la guerre de 39-45
Jusqu’à l’occupation, l’Association musicale poursuit ses activités normalement. Avec l’arrivée des soldats allemands, les choses se compliquent. Il y avait le couvre feu, les répétitions duraient moins longtemps. Celles-ci se déroulaient au Café du commerce, près du jeu de ballon, rue Ferrer. En fin de répétition, le gérant, Albert Bouzanquet, qu’on appelait « Le Canard », pour ne pas être embêté, profitait d’un petit arrêt, tapait dans ses mains et nous disait : « Hé, Messieurs, il est l’heure !», ça voulait dire, arrêtez de jouer, il va y avoir le couvre-feu. Alors, Monsieur Bourrette à regret pliait boutique, il n’était pas très content mais il fallait bien s’arrêter.
La guerre terminée, l’Association musicale participe aux célébrations, aux hommages, aux moments de liesse populaire. Sous la direction de leur chef, les musiciens apprennent tous les hymnes des pays alliés qui avaient contribué à la victoire. L’hymne anglais, l’hymne américain, l’hymne russe.
Peu de temps après la guerre Alcide Bourrette, qui n’était plus tout jeune, a décidé d’arrêter. Alors, il nous a fallu assez rapidement rechercher un chef. Sur place, à Vauvert, il y avait un nommé Casimir Courdesse, un chanteur qui avait une belle voix et qui était en capacité de nous diriger. Ce qu’il a fait pendant quelques années. Dans le même temps, une autre opportunité s’est présentée. Un monsieur René Dufour, qui jouait de la flûte dans une musique militaire, s’était retiré à Vauvert. Il était à la retraite, et sur notre amicale insistance, il a accepté de venir nous diriger. Il se débrouillait pas mal. Et tout ça, a duré jusqu’en 1953.
Et Fernand Libra crée le Réveil Indépendant
Entre temps, en 1949 – personnellement, j’étais en train de faire mon service militaire – à l’occasion des 50 ans d’existence de l’association, les dirigeants de l’époque ont voulu marquer cet anniversaire. Ils ont organisé un festival de musique qui a eu lieu à Vauvert. Il y avait la musique de La Grand Combe, la musique de Beauvoisin, une du côté de Narbonne et d’autres musiques d’harmonie et il y avait aussi des fanfares. La manifestation a obtenu beaucoup de succès.
C’est ce festival qui a donné l’idée à Fernand Libra, sociétaire à l’association musicale – il jouait de la caisse claire – de créer une fanfare à Vauvert qui prit le nom du fameux Réveil Indépendant Vauverdois.
En 1951, quand il a commencé à avoir quelques élèves formés, il a été fier et heureux de présenter cette fanfare composée de clairons, tambours, trompettes de cavalerie et cors de chasse qu’on appelle une clique.
À partir de cette date, les deux formations ont joué ensemble. Pour les cérémonies, les fêtes, les courses de taureaux, ça allait très bien. Aux arènes Paul Allier, l’Association musicale se mettait à gauche du toril en regardant la présidence et le Réveil Indépendant était à droite. On jouait en alternance une ritournelle à chaque taureau.
En 1953, arrive un nouveau directeur, Jacques Pierson
Les dirigeants de l’association apprennent qu’un nouveau professeur de saxophone vient d’être nommé au conservatoire de Nîmes. Il s’agit de Jacques Pierson, fraîchement récompensé par un Premier prix du conservatoire de Paris, originaire de Dombasle-sur-Meurthe, près de Nancy. Tout juste en poste à Nîmes, il est contacté par l’Association musicale de Vauvert. Comme il était jeune – il n’avait que 24 ans – et pas encore marié, il a accepté en plus de sa charge de professeur au conservatoire de venir diriger l’Association musicale et en même temps de s’occuper de l’école de musique.
Monsieur Pierson arrive et dès la première répétition, (petite anecdote), il commence par nous dire qu’il est gaucher et que s’il a corrigé son geste en ce qui concerne l’écriture, il dirigeait un orchestre de la main gauche. Finalement, nous nous y sommes habitués sans difficulté.
Jacques Pierson, par son travail, ses compétences, sa personnalité – Il était patient, doux et rigoureux à la fois – a marqué son passage à Vauvert. Il nous a fait beaucoup progresser. Il savait ce qu’on pouvait faire et il arrivait à tirer le maximum. Mais pour cela, il fallait avoir de la patience et il n’en manquait pas.
À l’école de musique, il a également apporté une nouvelle dynamique. Les filles comme les garçons suivaient assidument son enseignement théorique et instrumental. Une fois en mesure de pouvoir jouer, les jeunes venaient renforcer les rangs de l’Association musicale. Quant aux élèves à plus haut potentiel, il les aiguillait vers le conservatoire de Nîmes.
Ainsi, l’Association musicale et son directeur, Jacques Pierson, ont salué avec fierté les cinq médailles d’or obtenues par Éric Charray, 1er Prix de clarinette, son frère jumeau, Gérald, 1er Prix de cor d’harmonie, Thierry Riboulet, 1er Prix de trompette, Patrick Ivorra, 1er Prix de piano et Philippe Guyon, 1er Prix de Saxophone.
En 1966, Jacques Pierson est pressenti pour tenir le pupitre des percussions au théâtre de Nîmes. En plus de ses cours au conservatoire, il devait assurer de nombreuses répétitions avec l’orchestre du théâtre. Ça commençait à lui demander beaucoup trop de travail, aussi, à regret, il a dû arrêter la direction de l’Association musicale en même temps que l’école de musique.
L’Association musicale se retrouve à nouveau sans directeur.
En partant, Monsieur Pierson, nous avait toutefois soufflé le nom d’un chef, susceptible de prendre la suite. René Vedel – c’est de lui dont il s’agit – était déjà plus âgé que Jacques Pierson, il dirigeait par intermittence l’orchestre du théâtre de Nîmes et excellait dans les opérettes. À la même époque, il prenait les rênes de l’orchestre Chicuelo II, la toute nouvelle formation des arènes de Nîmes.
Pendant cinq ans, Monsieur Vedel est venu diriger et donner des cours à l’école de musique. Il habitait Nîmes et se déplaçait en 2CV. Un jour, il a eu un accrochage avec sa voiture. Contraint au repos chez lui, il a finalement décidé de ne plus venir.
Aimé Minair, le dernier chef de l’Association musicale
Le choix d’Aimé Minair pour succéder à René Vedel est apparu comme une évidence. On avait déjà fait souvent appel à lui pour renforcer les rangs et jouer la partition de basson, un instrument proche du saxo baryton. Originaire de Valenciennes, il avait obtenu un 1er prix de saxo et de basson au conservatoire de Valenciennes. Il avait fait ensuite une carrière militaire, il était le sous-chef de la musique des troupes coloniales.
Ce n’était pas un bleu.
Autant Monsieur Pierson était doux, patient, autant Monsieur Minair, c’était dans son tempérament, était plus brutal, dans les commandements, comme s’il parlait à des soldats. Je me souviens, à la musique de Vauvert, nous n’étions pas des professionnels, moi, j’allais labourer, un autre faisait le maçon, on n’avait pas les doigts souples comme il le fallait. Quand il y avait un passage qui devait être exécuté finement, piano, on jouait trop fort, alors, il tapait, il arrêtait brusquement : « Et non, c’est pas ça, vous jouez… on dirait un sac de patates qui dégringole l’escalier ». Ça nous faisait rire mais lui, il ne riait pas. « Allez, reprenons ! » et à force, on arrivait un peu à faire ce qu’il voulait. Peut-être pas à 100 % mais, on y arrivait quand même.
L’évolution du répertoire, des modes et des pratiques musicales
Pendant des décennies, de 1900 aux années 1970, le répertoire de l’Association musicale n’a pratiquement pas changé, on jouait de la musique d’harmonie et beaucoup de morceaux classiques, des ouvertures de La Chauve-souris, de Carmen, puis des fantaisies sur des opérettes… Monsieur Minair, fût le premier à nous faire découvrir des musiques un peu plus modernes avec des rythmes différents comme Un Américain à Paris de Gershwin, par exemple ou des comédies musicales.
Avec l’évolution des courants musicaux, le jazz, puis le rock et la pop, mais aussi l’engouement pour les musiques festives, les bandas, les peñas, les jeunes ont été attirés par d’autres pratiques. Peu à peu, ils ont délaissé les rangs de l’Association musicale.
À la fin des années 80, la situation est devenue difficile. Les anciens disparaissaient, les nouvelles recrues se faisaient rares, il manquait des musiciens, on était obligé de demander des renforts à Saint-Gilles, certains venaient d’Alès. On ne pouvait quand même pas se présenter à huit ou dix lors des défilés.
En mars 1989, vu le contexte, nous nous sommes résolus, non sans regrets, à mettre fin à la belle histoire de l’Association musicale.
90 ans d’existence et de belles heures de gloire, l’Association musicale a marqué la vie culturelle vauverdoise du XXème siècle. Et au-delà, elle a été une formidable aventure humaine faite de rencontres, de partage et d’amitié.
Si les femmes et les hommes passent, si les associations naissent et disparaissent, la musique reste omniprésente et continue de se transmettre de génération en génération. Aujourd’hui, c’est l’École intercommunale de musique de Petite Camargue qui porte haut le flambeau de la musique sur ce territoire. Une véritable institution qui va fêter ses 30 ans, le 29 juin prochain.
Photos : Collection Alain Bronnert