Les centaines de collégiens qui ont côtoyé Marie Bénito au CDI (Centre de documentation et d’information) du collège La Vallée Verte gardent le souvenir d’une personne généreuse, avenante, disponible et très impliquée dans son travail éducatif.
Elue municipale en charge de la culture pendant deux mandats, elle a mis la même énergie, la même détermination dans son engagement au service de ses concitoyens. Elle a participé entre autres actions à la création de l’école municipale de musique et surtout elle a porté le projet de la médiathèque (construction et agencement des nouveaux locaux, organisation, constitution d’une équipe de personnes qualifiées…). On lui doit l’initiative de la remise des dictionnaires aux élèves de CM2 des écoles : Ces dictionnaire récompensent le travail des élèves en dernière classe de primaire.
Marie Bénito aimait passionnément la transmission du savoir, de l’éducation, les livres. Fidèle à ses amis et à ses racines « pieds noirs », elle marquait son attachement indéfectible à Vauvert, sa ville d’accueil et aux vauverdois.
Quand et comment Marie est arrivée à Vauvert, c’est une histoire bien singulière qu’elle nous a révélée et qui a commencé avec son départ d’Algérie en 1962, lors des événements.
un vrai « faux » départ en 1962
Un jour, nous étions à Oran, chez mes beaux-parents et un copain à Robert, mon mari, s’apprêtant à rentrer en France métropolitaine avec sa famille lui a proposé la seule place qu’il lui restait. Robert m’a pressé de partir et de rejoindre ma mère, déjà en France, chez mon oncle à Saint-Bauzile de Putois, près de Ganges. J’ai fait le voyage (deux à trois jours) à bord du « Jean Laborde » qui venait de l’océan indien et faisait escale à Marseille. Un voyage surréaliste parce que c’était la première fois que je prenais le bateau, c’était la première fois que je venais en France. J’avais 21 ans, je me demandais ce qu’il m’arrivait. Mon amie, enceinte jusque là, était accompagnée de toute sa famille, ses parents, ses beaux-parents, ses frères et .. le frigo. Un frigo tout neuf qu’ils ne voulaient pas laisser.
C’était le 21 ou le 22 juin 1962. C’est ce jour là que l’OAS a fait brûler toutes les réserves d’essence d’Oran. Un incendie gigantesque. « Des milliers de personnes, désemparées, hébétées, attendent le bateau dans le plus grand dénuement. Il faut fuir au plus vite ce pays, auquel ils resteront attachés de toutes leurs fibres, transformé en enfer ». (Benjamin Stora)
Robert m’a rejoint le 1er juillet. Mon père qui était resté seul là-bas est arrivé le 15 août… pour chercher ma mère. « On ne peut pas laisser tout comme ça. Il faut vendre puis déménager. » Ma mère comprenait le raisonnement mais elle avait une peur bleue. Elle est retournée en Algérie la boule au ventre.
Ils sont donc partis, puis là-bas, la directrice de l’école, Mlle Rebol, qui rencontrait ma mère presque tous les jours, lui disait : « Vous devriez dire à Marie et à son époux de rentrer. Elle pourrait travailler avec moi à l’école des filles et votre gendre aurait la direction de l’école des garçons et on verra le temps que ça durera mais vous voyez bien qu’il n’y a pas de danger ». Dans ses courriers, ma mère réitérait ces propositions.
En France, notre situation se compliquait, nous n’avions pas de travail, pas de reclassement en perspective. Robert avait fait les vendanges, parce qu’il fallait bien rentrer quelques sous. Finalement, au bout de deux ou trois lettres de ce genre, nous nous sommes laissés convaincre et avons regagné Oran. Nous avons vécu avec mes parents, dans la même maison. Mon père travaillait dans son atelier de réparation de matériel agricole et nous, dans les écoles du village tout en préparant des concours. La police pour Robert et la poste en tant qu’agent d’exploitation pour moi.
En décembre 1962, tout a basculé, les propriétés des colons ont été nationalisées et à partir de là, mon père n’a plus eu de boulot.
Avec Robert nous avons terminé l’année scolaire, attendant en vain les résultats des concours puis tous les quatre avons décidé de rentrer définitivement en France.
1963 : le retour définitif en France
Mes parents ont atterri à Bergerac dans le Périgord où mon père avait une cousine qui avait acheté une propriété avec son mari et était trop heureuse de les héberger.
Mon père a ensuite acheté un atelier automobile, il a construit sa maison et ils sont restés à Bergerac pendant 8 ans.
De notre côté, nous commencions à nous morfondre à Saint-Bauzile-de-Putois. Puis, le 8 février 1963, surprise ! nous avons reçu les résultats des concours – nous avions réussi tous les deux – en même temps qu’une lettre de l’Académie de Montpellier nous proposant un rattachement au département du Gard en tant qu’enseignants. Alors, nous avons vite choisi, nous avons préféré laisser tomber la police et la poste et avons décidé de venir dans le Gard.
Nous nous sommes rendus illico à l’inspection académique de Nîmes et avons rencontré, le chef du personnel. Moi, j’étais enceinte de deux mois. Après quelques circonvolutions de convenance, Monsieur Vidal, c’était le nom du chef du personnel nous dit : « J’ai pensé au collège de Vauvert, mais il n’y a du travail que pour un ». J’étais déconfite. Il me regarde et ajoute : « Puis vous êtes bien jeune Madame, vous êtes bien jeune… » et mettant fin au suspense « On ne va quand même pas vous séparer. Allez, on vous nomme tous les deux au collège de Vauvert. »
Arrivés au collège en septembre pour la rentrée, nous sommes reçus par Monsieur Durand, le directeur : « Moi, j’avais besoin d’une personne pour me seconder mais si vous êtes deux, je ne cherche pas à savoir qui fait le travail, l’essentiel, c’est que ce soit fait. La seule chose que je vous demande, c’est de surveiller la cantine scolaire. Jusqu’à présent, on assurait la surveillance à tour de rôle mais les profs ne se sentent pas trop concernés, ce qui fait que c’est la pagaille, les cuisinières sont chahutées. Il va falloir mettre de l’ordre. »
Nous avons surveillé cette cantine pendant plusieurs années.
« Un accueil chaleureux à Vauvert que je n’ai jamais oublié »
Dès le premier jour de notre arrivée à Vauvert, on a su qu’on allait avoir une activité professionnelle éducative conforme à nos attentes et puis on a su aussi qu’on allait être logés. C’est Jean Teissier, adjoint aux affaires scolaires qui s’en est occupé « Dans l’immédiat, j’ai à vous proposer un appartement de fonction à l’école des Capitaines mais vous allez devoir le partager avec un couple d’enseignants qui se marie et dans deux mois, il va y avoir également une villa qui se libère, rue du Chaillot. Alors, vous choisissez… » Nous sommes d’abord allés rue des Capitaines, puis au printemps 1964 à la villa. Nous avions nos quatre meubles au garde meubles à Nîmes, la mairie de Vauvert a pris en charge les déménagements successifs. Je me souviens, ce sont Messieurs Bousquet et Alinat qui les ont effectués.
Nous sommes restés dans la villa de fonction pendant quatre ans et demi avant d’acheter notre propre logement au Frédéric, avenue de la Costière. Pendant tout ce temps, nous avons été logés gracieusement et au terme de cette occupation nous avons seulement payés une note d’électricité de 150 francs.
J’ai longtemps eu envie de dire merci à Monsieur Gourdon, parce qu’il nous a libérés d’une angoisse extraordinaire. On avait des petits salaires, Robert gagnait 610 francs par mois, moi, j’en gagnais 570. Il n’y avait pas de quoi casser des vitres, s’il avait fallu payer un loyer (ils tournaient tous autour de 300 francs) on aurait eu de grandes difficultés.
C’est pourquoi quand j’entendais certains « pieds noirs » se plaindre de l’accueil qu’ils avaient reçu dans d’autres villes – ce qui était peut-être vrai – moi je me disais qu’à Vauvert, nous avions été bénis des dieux. »